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M. de Lamennais, M. Gerbet et leurs amis soutenaient que la raison sans l’autorité, la philosophie réduite à ses propres forces, la philosophie telle que Descartes l’a faite, avec la conscience pour point de départ et l’évidence rationnelle pour lumière, étaient radicalement et absolument impuissantes. Ils ne contestaient point à la raison, à la philosophie, tel ou tel de ses droits ; ils les niaient tous sans exception et sans réserve, et condamnaient tout usage de la liberté de penser au scepticisme absolu. Tel fut l’excès, telles furent les violences où s’emportèrent M. de Lamennais et ses amis. La sagesse du clergé s’alarma ; l’épiscopat fit entendre sa voix. Le jeune clergé, un instant séduit, fut contenu et surveillé. L’église, les catholiques, le public tout entier, abandonnèrent M. de Lamennais, et cette doctrine, désertée par ses plus fervens adeptes, reçut le dernier coup de son auteur même, qui l’abandonna formellement et n’en parla plus que par honneur.

Le caractère commun des deux opinions qui ont succédé dans les rangs du clergé à l’ancienne doctrine lamennaisienne, c’est de ne point nier absolument la philosophie et de faire à la raison sa part ; mais les uns la font plus grande, les autres plus petite.

Ceux-ci prétendent réduire la raison aux vérités d’expérience et de raisonnement, et lui interdire absolument le domaine des principes, c’est-à-dire, en termes plus clairs, l’ordre entier des vérités morales et religieuses. À les en croire, la raison naturelle ne dépasse pas l’horizon de ce monde visible ; pour s’élever plus haut, pour atteindre la région des vérités éternelles, pour trouver Dieu, le devoir, la vie future, il faut à l’ame humaine appesantie sous la chair les ailes divines de la foi. Si la raison refuse de se soumettre au joug salutaire des vérités révélées, incapable dès ce moment d’une autre lumière que celle des sens, elle aboutit nécessairement au matérialisme et à l’athéisme. Telle est la doctrine qui a été développée, non sans vigueur et sans éclat, par un esprit distingué, par un professeur célèbre, M. l’abbé Bautain, l’homme peut-être le plus considérable, comme écrivain et comme penseur, qu’ait produit le clergé depuis qu’il a perdu M. de Lamennais. Il est incontestable que cette doctrine a fait une très grande fortune dans le clergé ; elle a exercé, elle exerce encore une influence qui, pour n’être pas toujours avouée, n’en est pas moins décisive. Toutefois, si l’on ne regarde qu’aux signes purement extérieurs, on peut dire qu’elle n’a point obtenu l’approbation de l’épiscopat. On sait avec quelle fermeté M. l’évêque de Strasbourg s’est prononcé contre elle. D’autres prélats l’ont également rejetée, et, à leur tête, un archevêque