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dique dans son Traité de l’existence de Dieu[1], pour asseoir sur la base de la raison, et de la raison seule, l’édifice entier des grandes vérités morales et religieuses.

Entend-on par rationalisme tout système de philosophie contraire à la révélation ? Voilà une nouvelle définition, mais qui repose, comme la précédente, sur une étrange confusion d’idées, et trahit un singulier oubli des conditions et de la nature même de la philosophie. On a l’air ici de reconnaître la philosophie comme une puissance indépendante ; on se borne à exiger d’elle qu’elle ne contredise point les vérités révélées. Qu’est-ce à dire ? Exige-t-on d’un philosophe, pour qu’il soit vraiment philosophe, un engagement pris d’avance de ne rien admettre pour vrai qui ne soit conforme à telle religion ? Une fois cette promesse faite, on laissera, dit-on, le philosophe parfaitement libre, mais pas avant. Qui ne voit la puérilité ou l’artifice d’une telle combinaison ? qui ne voit qu’elle porte une égale atteinte à la dignité de la religion et à l’existence de la philosophie ? Quoi ! la religion est-elle donc si peu de chose qu’on puisse y croire dans sa pensée et dans son cœur, et rester libre ? Non. Cette liberté n’est qu’un leurre, et ceux qui la donnent savent bien ce qu’elle vaut, et qu’ils ne cèdent rien. Faut-il rappeler que le christianisme contient sous le voile de ses mystères et de ses symboles toute une haute métaphysique qui embrasse dans ses cadres immenses et résout par des principes étroitement coordonnés les éternels problèmes qui font l’objet de toute grande religion et de toute grande philosophie ? Quiconque enchaîne sa raison à un tel système religieux l’engage tout entière. Il n’est plus libre sur une seule question. C’est donc entièrement méconnaître la nature de la philosophie que de vouloir qu’elle s’engage d’avance, ne fût-ce que sur un seul problème. La philosophie n’a pas de parti pris, ni pour, ni contre quoi que ce puisse être, ou, si l’on veut, elle en a un, mais c’est de ne rien admettre au monde que sur la foi de l’évidence et de la raison.

Un éminent écrivain du clergé, M. l’archevêque de Paris, n’hésite pas à compter Descartes au nombre des vrais philosophes ; mais il prétend séparer sa cause de celle du rationalisme. Descartes, à l’en croire, n’admettait point une liberté absolue de penser, et acceptait expressément les vérités révélées à titre de limite à la spéculation philosophique[2]. C’est là une erreur. Le doute méthodique n’excepte rien,

  1. Fénelon, De l’Existence de Dieu, seconde partie, ch. i.
  2. Recommandation de M. l’archevêque de Paris, dans la Théodicée chrétienne de M. l’abbé Maret, p. 5.