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DE LA PHILOSOPHIE DU CLERGÉ.

l’histoire, et les Soirées de Saint-Pétersbourg, les Mélanges philosophiques, à qui suffirait pour durer l’admirable beauté du style, resteront aussi comme d’illustres dates que la postérité n’oubliera pas. Croit-on enfin que le sentiment religieux ait perdu, dans cette lutte de quinze années, quelque chose de son autorité, de sa légitime influence ? Non, certes. Si la liberté a triomphé, ce n’est point la religion qui a été vaincue ; ce sont les doctrines ultramontaines, c’est ce mélange adultère de l’esprit religieux et de l’esprit de domination temporelle, ce sont ces regrets insensés pour le passé, ces espérances folles pour l’avenir, tant d’intolérance avec tant d’hypocrisie, tant de violence avec tant de faiblesse, voilà ce que 1830 a emporté. Et plaise à Dieu que ce soit pour toujours !

On accusait hautement la philosophie d’impuissance ; on la condamnait au scepticisme. Qu’est-il arrivé ? Au plus fort de la mêlée, du sein même de l’orage, la philosophie a montré une fécondité inattendue. Elle a produit, on sait avec quel éclat, quel prestige, quel cortége de sympathies et d’espérances, une méthode nouvelle, un système nouveau. On conteste aujourd’hui très vivement la vérité de ce système, et on en a parfaitement le droit ; mais qu’une nouvelle école philosophique ait été fondée sur la base solide d’un spiritualisme conciliateur, que cette école dès sa naissance ait fait de nombreuses conquêtes, qu’elle ait inspiré à la génération nouvelle, en même temps qu’une curiosité féconde pour le passé, un noble et puissant essor vers les hautes régions spéculatives ; qu’elle ait produit enfin tout un mouvement intellectuel dont les destinées sont loin d’être épuisées, voilà des résultats, voilà des effets que nul esprit sincère, ami ou ennemi, ne peut méconnaître.

La nouvelle lutte qui s’est engagée et se poursuit sous nos yeux sera-t-elle aussi féconde ? Le clergé comprendra-t-il enfin que c’est mal servir les intérêts du christianisme que de les mettre en opposition déclarée avec les besoins nouveaux que le progrès des temps a désormais consacrés ; que la foi ne se sépare jamais impunément de la science ; qu’il y a pour l’église quelque chose de mieux à faire que de maudire la philosophie, c’est de se régénérer par elle ; que chaque pas qui éloigne le clergé de l’esprit nouveau qui depuis trois siècles a pénétré l’Europe l’éloigne des sources mêmes de la vie et prépare au catholicisme un isolement intellectuel plus dangereux mille fois que les persécutions qui s’attachèrent à son berceau ? À son tour, la philosophie du xixe siècle, qui, dans l’élan mal réglé de ses premiers mouvemens, s’est trop souvent égarée à la suite des guides aventureux de