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pour les élèves, en tout quatorze scènes pour Paris seulement, trois de plus que sous l’empire ; plus, nous l’accordons, trois théâtres pour la banlieue ; plus encore, les innombrables concerts, les exhibitions de tout genre, ne serait-ce pas assez pour alimenter la curiosité parisienne ?

Tout démontre donc la nécessité de réduire le nombre des théâtres existans : la responsabilité du gouvernement, l’équité envers les anciennes entreprises, l’intérêt bien entendu des auteurs et des artistes vraiment distingués, l’intérêt plus pressant encore de l’art, sont autant d’argumens en faveur de cette mesure. L’exécution en serait facile. Il ne s’agit point, comme en 1807, de détruire des propriétés reconnues par la loi. À peu d’exceptions près, tous les théâtres sont exploités en vertu de priviléges temporaires, dont la plupart expirent dans peu d’années. Il suffira de ne point renouveler ceux qui ne paraîtront pas devoir être maintenus, et de faire rentrer dans les limites de leur autorisation les simples théâtres de curiosité, qui, au mépris de la loi et de leurs devoirs, empiètent sur le genre des théâtres proprement dits. Aucun droit ne sera violé ; nul ne pourra se plaindre. Les auteurs et les acteurs vulgaires seront seuls intéressés à réclamer. En revanche, on pourrait compter sur l’adhésion des écrivains et des artistes véritables, à qui la réforme proposée préparerait plus de gloire avec une égale rémunération. Le gouvernement se doit à l’art sérieux, à la vraie, à la grande littérature dramatique. Les productions de ceux qui gaspillent leur talent pour en faire métier n’ont aucun droit à sa protection.

La réduction du nombre des théâtres a pour conséquence nécessaire le partage exact des genres entre les entreprises conservées. Ce partage, malgré les objections théoriques qu’il soulève, aurait dans la pratique les meilleurs résultats. Il serait le plus sûr moyen de maintenir entre les divers théâtres une hiérarchie salutaire, de prévenir la déloyale concurrence et les aberrations du talent. Est-il besoin d’ajouter que, pour être efficace, une réforme comme celle que nous sollicitons doit être complète, et qu’on n’extirperait pas le mal avec des palliatifs et des termes moyens. « Tout le monde sent, disait en 1806 le ministre de l’intérieur, combien est funeste la multiplicité des petits théâtres. Ils perdent le goût, les mœurs, l’amour du travail ; avec eux, la tradition des bons ouvrages et des bons acteurs disparaît ; ils se dévorent par une concurrence sans frein. Il n’y a qu’un seul remède à de tels abus : c’est une réduction considérable du nombre des petits théâtres. » Ces paroles sont franches et décisives ; nous les adoptons pleinement pour nos conclusions.