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Nullement : ils paient pour applaudir. Ce sont d’ordinaire des ouvriers qui, pour satisfaire la passion du spectacle, presque générale dans leur classe, consentent à acheter un billet à moitié prix, sauf à payer le surplus en applaudissemens.

Tous les claqueurs ne sont pas le soir dans les salles. Il y en a d’autres au dehors qui sont payés pour soutenir les pièces, non plus par des trépignemens d’enthousiasme, mais en chantant victoire dans les réclames et dans les feuilletons. Quelques directions dépensent, assure-t-on, des sommes considérables en pensions annuelles, en gratifications, en festins, en cadeaux, pour se concilier les faveurs de la publicité. Il faut avoir une bien triste opinion du public pour croire qu’il se laisse prendre aux éloges maladroits décernés invariablement à toutes les nouveautés de certains théâtres. Le résultat le plus évident de ces manœuvres est d’enflammer la cupidité de ces condottieri de la presse, qui prétendent régenter le monde dramatique, et menacent de leur plume vénale les artistes honnêtes qui rougiraient de se soumettre à un honteux tribut.

Sans compter les applaudisseurs et les journalistes, un nombre à peine croyable de personnes assiste chaque soir aux spectacles gratuitement ou à très bas prix. La foule se cherche elle-même ; il fait froid dans une salle déserte, et le plaisir s’en éloigne. Dans cette conviction, beaucoup de directeurs distribuent des billets soumis à une simple taxe d’un franc : comme s’il n’était pas assez de la concurrence étrangère, c’est le théâtre qui fait lui-même concurrence à sa propre caisse. D’autres directions respectent encore assez leur art pour ne pas le mettre au rabais ; elles comblent le vide des mauvais jours en jetant les billets à pleines mains à qui veut les prendre. On a prétendu que ces billets sont une sorte d’amorce propre à attirer vers le théâtre une foule de spectateurs en qui l’on fait naître ainsi le besoin des émotions dramatiques. Nous inclinons plutôt à croire qu’on habitue les amateurs de spectacles à s’en procurer le plaisir sans bourse délier, et qu’on émousse la jouissance chez ceux qui ont la facilité de l’obtenir pour rien. Ce qui est positif, c’est qu’une somme énorme est ainsi retranchée du budget des théâtres. En 1830 et 1831, des discussions s’étant élevées à ce sujet, l’administration des hospices fit faire le relevé des billets de faveur présentés aux bureaux de contrôle. Leur valeur fut portée, pour 1830, à 1,135,652 fr., et, pour 1831, à 1,164,730 fr. Le désordre s’est encore accru depuis lors. Bien loin de chercher à le restreindre, les agens de l’autorité ne négligent pas les occasions d’en profiter. Les théâtres, et surtout ceux que des subventions placent