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LES THÉÂTRES.

destinés seulement à leur famille ou à leurs amis : un sentiment de pudeur écartait jusqu’à la pensée de les vendre. Aiguillonnés par la concurrence, les directeurs ont augmenté à l’envi le nombre des places mises à la disposition des auteurs ; puis ils en sont venus à considérer les billets, non plus comme une gratification volontaire, mais comme un supplément de droit, de sorte que l’auteur demeure libre d’en réaliser la valeur. Le Théâtre-Français et l’Opéra seuls n’échappent qu’en partie à cette exaction. Partout ailleurs le droit de signature est écrit dans les traités. À l’Opéra-Comique, les auteurs ou compositeurs qui ont produit un certain nombre d’actes ont droit d’entrée personnelle à vie ; lorsque le nombre des actes fournis est assez grand pour constituer droit à deux ou trois entrées viagères, l’auteur peut les céder à qui bon lui semble. Pour les représentations quotidiennes, l’auteur et le compositeur sont autorisés à disposer chacun de seize places pour un grand ouvrage, et de huit places pour un petit. La proportion est plus forte encore dans la plupart des théâtres de vaudeville. Un seul acte y donne le droit de signer des billets pour 36 fr. Ces billets, vendus à moitié prix, avilissent ceux qui sont délivrés aux bureaux des théâtres. Un mandataire des auteurs, armé de leur griffe, est le principal agent de ce commerce illicite, qui, assure-t-on, produit plus de 1,000 fr. par jour à répartir entre les auteurs dont les noms rayonnent sur les affiches. Si donc nos informations à ce sujet sont exactes, la vente des billets (ajoutant encore 400,000 fr. par an au droit proportionnel sur les recettes de Paris et de la province), et la vente aux libraires des deux ou trois cents pièces imprimées chaque année porteraient à 1,500,000 fr. environ le budget de notre littérature dramatique[1].

Comment les auteurs en sont-ils venus à cette omnipotence qui leur permet de tyranniser les entreprises théâtrales ? C’est en abusant de la force qu’ils ont puisée dans le principe de l’association. Il fut un temps, nous l’avons déjà dit, où les directions ont été oppressives et iniques : ce sont leurs exigences déloyales qui ont créé la société des auteurs dramatiques. Cette société, dont nous avons exposé l’organisation, que nous avons même approuvée dans ce qui méritait de l’être, constitue aujourd’hui une autorité despotique, sanctionnée en quel-

  1. Ce tribut ne semblerait-il pas suffisant aux auteurs dramatiques ? Dans la dernière réunion générale de leur société, le secrétaire a lu un rapport sur la concurrence que les saltimbanques font aux théâtres. Comme démonstration, on a pris la peine de calculer que ces redoutables saltimbanques se sont permis récemment de réaliser une recette de 34,000 en un seul jour de fête foraine !