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nobles facultés ? À ce sujet, nous dirons pleinement notre pensée. Les auteurs, long-temps victimes des administrations dramatiques, prennent aujourd’hui une impitoyable revanche. Ils abusent, pour se faire valoir, de la concurrence désespérée des directeurs, de la rareté croissante des bons ouvrages, des appétits maladifs de cette foule à qui chaque année il faut offrir un plus grand nombre d’ouvrages à dévorer. Dès qu’un auteur dramatique a acquis quelque consistance, les tarifs ordinaires ne lui suffisent plus ; il réclame des avantages exceptionnels. Ainsi s’est introduit, depuis 1830, l’usage d’offrir aux auteurs dont le nom semble une garantie de succès une prime de lecture, c’est-à-dire que le théâtre commence par payer 1,000 francs par acte pour obtenir le manuscrit d’une pièce destinée peut-être à une lourde chute[1]. C’est, pour les grands ouvrages, une avance de 5,000 francs, qui augmente d’autant les premiers frais de mise en scène. Quelques écrivains n’ont pas borné là leurs exigences. Il en est qui imposent au théâtre l’obligation d’engager une actrice dont les services ne sont pas toujours indispensables. S’il arrivait, ce qui n’est pas sans exemple, que l’artiste engagée forcément fût complètement inutile, il faudrait considérer ses appointemens de deux ou trois années, soit 8 à 10,000 fr., comme un supplément de prime, ce qui porterait à 15,000 fr. de surcroît les avances de mise en scène. Il se trouve parmi les écrivains des caractères trop nobles pour s’abaisser à de mesquins calculs. Ceux-ci, hélas ! sont rarement supérieurs aux faiblesses de la vanité. Pour se ménager les apparences du succès, ils exigent qu’un certain nombre de représentations soit assuré à leurs pièces, ou bien encore qu’on reprenne un de leurs anciens ouvrages abandonné, et sans attrait pour le public.

De cette façon, pendant que les bénéfices des entreprises théâtrales subissaient une décroissance notable, ceux des auteurs, assez audacieux ou assez influens pour parler en maîtres, tendaient constamment à s’élever. Laissons parler les chiffres. On peut évaluer ainsi le produit d’un livret d’opéra, d’un de ces grands opéras, il est bon de s’entendre, fournis par un auteur en réputation, et auxquels la musique de Rossini ou de Meyerbeer, garantit plus de 100 représentations.

  1. Le Théâtre-Français vient de prendre à ce sujet une louable résolution. Les primes fermes (ne se croirait-on pas à la Bourse ?) viennent d’être abolies, et remplacées par des primes conditionnelles, payables après un nombre convenu de représentations, et proportionnées au succès.