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remplacer les grands artistes qu’il a perdus, paraît menacé d’une crise inquiétante. L’Opéra-Comique doit son salut à l’heureuse idée de faire revivre quelques ouvrages de l’ancienne école, qui sont pour la génération présente de piquantes nouveautés. Le Théâtre-Français, malgré l’économie introduite récemment dans toutes les parties de son administration, n’est pas à l’abri des embarras financiers. Les succès productifs de Mademoiselle de Belle-Isle, du Verre d’Eau, etc., surtout la vogue prodigieuse de Mlle Rachel, ont ramené pour un temps les recettes journalières au chiffre des années les plus prospères de ce siècle[1] ; mais d’une part il y a déficit considérable sur la location des loges à l’année, qui était en 1812 de 138,000 fr. ; d’autre part, l’augmentation démesurée et irrémédiable de tous les frais d’exploitation, la surcharge de 190,000 francs de pension annuelle[2] à servir aux acteurs retirés, aggravent le budget des dépenses à tel point, que les artistes associés de notre première scène seraient loin d’obtenir une rémunération proportionnée à leurs talens, si un traitement fixe ne leur était pas attribué sur la subvention de 200,000 francs accordée par l’état. La part sociale était de 23,536 francs en 1810, de 22,992 en 1814, non compris les feux et autres avantages attachés au sociétariat. Présentement Mlle Rachel reçoit une allocation de 42,000 francs, faveur exceptionnelle bien justifiée d’ailleurs, puisqu’il est constaté par les registres du théâtre, que, de 1838 à 1843, les 327 représentations données par la jeune tragédienne ont produit en total 1,550,132 fr. ! Quant aux autres sociétaires, leur part subventionnelle, inférieure au traitement que des acteurs médiocres reçoivent des petits théâtres, est considérablement réduite par l’obligation imposée à chacun d’eux de pourvoir à certaines dépenses de son costume.

Les causes qui ont produit tant d’embarras et de désastres dans le monde dramatique sont très diverses : le mal provient de quelques fautes administratives, des mœurs littéraires de notre époque, et, nous pardonnera-t-on de le dire ? des tendances généralement mesquines de notre société.

Depuis quelques années, les théâtres ont été multipliés inconsi-

  1. 576,200 francs en 1812, et 574,950 francs en 1842.
  2. En 1812, date du décret constitutif qui régit le Théâtre-Français, les pensions de retraite ne s’élevaient qu’à 70,700 francs. Le Théâtre-Français, comme toutes les républiques, a eu ses jours d’anarchie, où les honneurs du sociétariat ont été accordés inconsidérément. Les sociétaires actuels expient les fautes de leurs devanciers. Les pensions inscrites, depuis cinq années seulement, ont aggravé le passif de la société de plus de 70,000 francs.