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obstruent les portes des théâtres, sollicitent, intriguent, passent de la supplication à la menace, bourdonnent sans cesse aux oreilles des directeurs, des examinateurs, des artistes, au point de les étourdir, de leur causer un dégoût, une lassitude nuisibles peut-être à quelques ouvrages estimables noyés dans le déluge de ceux qui sont présentés. Les trois quarts, et c’est peu dire, des productions soumises à l’examen, décèlent une impuissance qui n’est comparable qu’à la fatuité de l’auteur. L’un envoie un Mariage de Figaro qu’il a pris la peine de traduire en vers ; l’autre, offrant un nouveau Tartufe, met aux prises un prêtre catholique et un ministre protestant au milieu de la Forêt Noire. Les auteurs déjà connus qui ont l’habitude de travailler en commun sont, de leur côté, en butte aux plus fatigantes obsessions. Les pièces pleuvent chez eux ; quelquefois même leur muse banale est exposée aux offres d’association les plus étranges. Un écrivain célèbre à juste titre reçut un jour une demande de collaboration d’une femme qui lui avoua qu’elle était cuisinière, et sans place pour le moment.

Dans le nombre des auteurs que la littérature peut avouer, vingt environ travaillent d’une manière plus spéciale pour la Comédie-Française et les autres théâtres royaux ; tous, excepté cinq ou six, ont donné des pièces aux théâtres de mélodrame ou de vaudeville. Autrefois les écrivains qui se consacraient au Théâtre-Français formaient une sorte de classe d’élite qui, à de rares exceptions près, dédaignait de descendre aux scènes secondaires. Ces distinctions ont disparu. Est-ce au profit de la littérature dramatique ? nous en doutons. On cherche les succès faciles et lucratifs, et l’on ne s’aperçoit pas que, même à ce point de vue indigne d’un esprit éminent, on se livre à de faux calculs. Les théâtres de vaudevilles offrent peu de chances de succès aux hommes qui ont contracté, sur des scènes plus élevées, l’habitude de respecter le public et leur propre talent. On ne saurait trop le répéter, les nobles efforts ne sont jamais restés sans récompense, et s’il était possible de contrôler le budget des poètes d’élite qui se sont enrichis en travaillant pour la scène, on verrait que le Théâtre-Français, l’Opéra et l’Opéra-Comique ont fourni les bases solides de leur fortune.

Les droits d’auteur sont évalués en moyenne à 800,000 francs par an pour Paris, et 200,000 francs pour la province, sans compter des avantages accessoires que nous évaluerons plus tard. Ces droits sont soumis à un prélèvement de 2 pour 100 à Paris, et de 15 pour 100 dans les départemens, au profit des agens chargés de les recouvrer. Ce million, si considérable que paraisse une telle somme, laisse une bien maigre part à l’humble troupeau, lorsque celle des lions a été