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cation de 1,000 livres, outre la rétribution ordinaire, à l’auteur dont l’ouvrage produirait 40,000 livres en quinze représentations. Richard Cœur-de-Lion rapporta, assure-t-on, environ 12,000 livres à Sedaine. Quant aux directeurs de province, ils s’appropriaient, souvent pour les travestir, les ouvrages des auteurs vivans, non-seulement sans les appeler au partage de la recette, mais sans daigner même solliciter leur autorisation. La seule excuse d’un pareil abus était la pénurie de presque toutes les entreprises provinciales.

Acceptables en principe, les conditions faites aux écrivains dramatiques par l’ancienne Comédie-Française n’étaient pas toujours suivies avec une irréprochable loyauté. Par une subtilité difficile à justifier, les sociétaires s’abstenaient de comprendre dans le total des recettes la location des loges à l’année, qui devait être alors considérable : ils ne voulaient compter avec les auteurs que pour les sommes perçues chaque soir à la porte du théâtre. L’évaluation des frais à déduire donnait lieu à de fréquens démêlés. Les auteurs croyaient agir généreusement en accordant 800 livres par jour au lieu de 900, qui étaient réclamées pour les déboursés d’exploitation, non compris les honoraires des artistes. La clause du règlement dont il était le plus facile d’abuser était celle qui déclarait tombées dans les règles, c’est-à-dire acquises en toute propriété à la Comédie, les pièces dont les recettes s’abaissaient pendant trois représentations consécutives au-dessous d’un minimum convenu[1]. Cet état de choses entretenait une irritation déplorable entre les auteurs dramatiques et leurs interprètes nécessaires. Ceux-ci avaient alors pour eux le prestige du talent, la puissance de la vogue ; mais leurs adversaires eurent le bonheur de rencontrer en Beaumarchais un avocat d’une ardeur inépuisable, d’une causticité redoutée. L’auteur du Mariage de Figaro, qui avait commencé sa célébrité par des scandales judiciaires, alimenta pendant quatre ans la lutte entamée contre les comédiens. « Depuis douze ans, disait-il en 1791 à ses mandataires, dans un rapport qui résume la discussion, les auteurs dramatiques ne s’étaient partagé que 38,000 francs dans ces fortes années où le produit brut d’un million laissait aux comédiens français 25, 26, 27,000 francs de part entière. La médiocre somme qui vous est laissée n’aurait rendu à chaque auteur que 1,650 livres en masse, s’ils avaient fait bourse commune. » À force de protester

  1. Il est juste de dire que la Comédie n’usait pas toujours de ses droits à la rigueur. En 1770, la Veuve de Malabar s’étant relevée inopinément, après une chute qui entraînait la déchéance de l’auteur, Lemierre reçut comme dédommagement une gratification considérable.