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LES THÉÂTRES.

public et à réveiller la honteuse superstition de la royauté serait fermé, et les directeurs arrêtés et punis selon la rigueur des lois, » et au même moment elle approuvait la fermeture du Théâtre-Français « par suite de l’accusation d’aristocratie portée contre ses acteurs et son répertoire. » Jamais aucune censure ne sera aussi oppressive que de telles menaces, dans un pareil temps ; aussi, théâtres et auteurs s’empressaient-ils à l’envi de solliciter par grace l’examen préalable des pièces. Nous avons vu la lettre d’un écrivain du temps qui sollicitait la censure de la police, parce que le directeur du théâtre des Sans-Culottes, que son titre ne rassurait pas encore assez, ne voulait recevoir aucune pièce qu’à cette condition. On sait que le décret du 12 germinal an II avait supprimé les ministres et créé à leur place douze commissions ; celle de l’instruction publique était chargée de la surveillance des spectacles et fêtes nationales. Cette commission rendit, le 25 floréal suivant, un arrêté qui n’a point été publié, et qui rétablissait expressément la censure, en ordonnant à tous les théâtres de communiquer leur répertoire. On a conservé et nous avons parcouru les feuilles remises en exécution de cet arrêté et les notes des administrateurs du temps. Rien ne peint mieux cette époque. Dans l’espace de trois mois, sur 151 pièces censurées, 33 sont rejetées et 25 soumises à des changemens. Tout l’ancien répertoire est examiné : la censure déclare « mauvais » les ouvrages les plus irréprochables, presque toutes les comédies de Molière, Nanine, Beverley, le Glorieux, le Jeu de l’Amour et du Hasard, le Dissipateur, le Joueur, l’Avocat Patelin, et vingt autres comédies ; elle exige des corrections dans le Devin de Village, le Père de Famille, la Métromanie, dans le Guillaume Tell de Lemierre, bien qu’à titre de passe-port on lui donnât pour second titre les Sans Culottes suisses ; le dénouement de Brutus et de la Mort de César doit être changé ; Mahomet est interdit comme « chef de parti. » En revanche, les pièces suivantes sont autorisées ; nous n’en connaissons que le titre, mais il en indique assez le sujet : Encore un curé, Plus de bâtards en France, la Papesse Jeanne, Ésope républicain, la Mort de Marat, l’Esprit des Prêtres, les Crimes de la noblesse. Les théâtres vont au-devant de ces mutilations ; ils annoncent qu’on a changé les qualifications des personnages suspects. L’Ambigu-Comique écrit que, « dans toutes les pièces anciennes, on substitue à la scène le mot citoyen à celui de monsieur. » Le répertoire de l’Opéra-Comique est terminé par cette note : « Les pièces ci-dessus avec l’apostille arrangée sont celles où jadis il y avait des seigneurs et qu’on a remises à l’ordre du jour. Quant aux autres qui