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On n’a recueilli aucune évaluation précise des émolumens ordinaires des acteurs. Un régisseur prétend que tous ceux des grands théâtres qui ont eu de l’ordre ont pu, sinon s’enrichir, du moins se constituer une fortune indépendante ; mais il n’énonce aucun fait précis, ne présente aucun calcul à l’appui de cette assertion assez vague. Les acteurs sont généralement payés à la semaine, quelques-uns à la représentation. Kean a joué pendant deux ans à Haymarket moyennant 50 livres par soirée ; une autre année, il n’obtint plus que 33 livres 1/3, et la quatrième que 30 livres. Le théâtre Cobourg donnait alors 60 livres par représentation à son meilleur acteur. En province, la situation des comédiens est encore plus triste que dans la métropole. Leur plus haut salaire, dans les théâtres de première classe, ne dépasse pas trois guinées par semaine ; encore doivent-ils prélever sur cette somme leurs frais de voyage de ville en ville, et l’achat ainsi que l’entretien de leurs costumes. Les comédiens ambulans sont soumis aux règlemens des foires ; ils prennent des permissions des autorités locales. Quoique peu nombreux, ils meurent de faim ; « mais, dit un témoin, ils sont sobres. — Les théâtres de province, ajoute un des acteurs ambulans les plus distingués, n’ont jamais pu me faire vivre, moi et ma famille. J’ai toujours été dans la gêne avec les ressources insuffisantes qu’ils me procuraient. » Les grands théâtres envoient à la recherche des talens dans toutes les parties de l’Angleterre et se recrutent dans les troupes de province, qui passent pour une meilleure école que les théâtres secondaires de Londres ; cependant il n’y a pas un sixième des bons acteurs qui puissent espérer un engagement à Drury-Lane ou à Covent-Garden, objet de leur dernière ambition.

Sous le régime que nous venons de retracer, les théâtres souffrent et font de vains efforts pour échapper à la ruine. Ceux de Londres sont dans l’état le plus déplorable. Par une singularité remarquable, la foule se porte surtout à l’opéra italien et au théâtre français, et, sur les scènes secondaires, la plupart des pièces sont traduites du français. Des deux théâtres nationaux, l’un a été fermé à plusieurs reprises : c’est Covent-Garden. L’autre, celui de Drury-Lane, n’a point fait de bonnes affaires, malgré la direction de Macready. L’enquête de 1832 a dévoilé la marche et les causes de cette ruine. Drury-Lane pliait déjà à cette époque sous le poids d’une dette évaluée à 6 ou 700,000 livres sterling. De 1809 à 1832, les recettes de Covent-Garden avaient constamment baissé ; dans les dix premières années de cette période, la moyenne s’élevait à 83 ou 84,000 livres sterling par an ; dans les dix dernières années, elle était descendue à 53 ou 54,000. La période la plus florissante a été celle de 1810 à 1815, époque de sa-