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par l’éternel argument de l’inopportunité. Malgré sa résistance, on se rappelle que ce projet, pris en considération à la chambre des députés, en 1838, y fut voté à la majorité des deux tiers des voix, le gouvernement s’étant, à cette époque, résolu à l’accepter. Plus tard, le veto de la chambre des pairs arrêta la réalisation d’une mesure qui se présentait alors dans des conditions beaucoup moins favorables qu’en ce moment.

Personne ne pouvait en effet se préoccuper de la crainte d’un remboursement éventuel, lorsque le taux du 4 1/2, qui serait offert aux rentiers, se livre aujourd’hui à la bourse fort au-dessus du pair, et que la rente 5 pour 100, de l’aveu de M. le ministre des finances, ne fléchirait probablement pas au-dessous de 112 sous le coup de l’opération. Où iraient d’ailleurs les capitaux ? Serait-ce en Belgique, où les deux chambres viennent, par un concert unanime, de réduire l’intérêt d’un demi pour 100 ? Serait-ce en Angleterre, où on leur offrirait le chiffre réduit de 3 1/4 après l’opération que vient de faire le chancelier de l’échiquier sur la masse énorme d’un fonds de six milliards ?

Mal à l’aise pour combattre une proposition qu’il a contribué plus que personne à vulgariser dans la chambre, et dont sa haute expérience financière lui démontrait la réalisation sûre et facile, M. Lacave-Laplagne a porté dans ce débat un embarras et un découragement visibles. Il s’est refusé à une discussion sérieuse, laissant clairement comprendre, par son attitude même, que les objections soulevées par la mesure n’avaient rien de financier. La chambre sait fort bien qu’un emprunt de 300 millions d’une réalisation douteuse, et, dans tous les cas, assez lointaine, d’après les prévisions même du budget dont elle est saisie, n’est pas un obstacle véritable à une opération dont le seul effet serait de donner au 3 pour 100 une élasticité qu’il a perdue sous la compression permanente du 5. Elle ne méconnaît, nous aimons à rendre cette justice à sa sagacité, aucun de ces faits éclatans d’évidence : si elle a reculé, c’est devant des résistances toutes politiques, qui lui ont paru engager l’existence même du cabinet.

C’est un nouveau vote de confiance obtenu de cette assemblée. Le chiffre de la majorité ne s’est, il est vrai, élevé qu’à cinq voix. Cela est grave pour la session prochaine, et disposera vraisemblablement le ministère à envisager la question sous un aspect nouveau. Si la situation générale de la France se maintient une année encore sur le pied actuel, la cause de la conversion sera donc irrévocablement gagnée, quelque effort que l’on fasse pour y susciter d’artificielles difficultés, et échapper à une économie que les gouvernemens de Belgique, d’Angleterre, de Naples et de Prusse jugent, en cet instant même, à un point de vue si différent du nôtre.

Les projets de chemins de fer sont venus rendre à la chambre une animation qu’elle semblait avoir perdue. M. Fulchiron a renouvelé sa jeunesse comme celle de l’aigle. On l’a vu, dans tout l’éclat de son activité et de sa gloire, organisant les coalitions, distribuant les listes, donnant le mot d’ordre à ses dociles amis, et mettant toute cette politique de clocher sous la protection des principes conservateurs, dont il se dit f incarnation vivante. Une