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sait ensuite le Combat d’Hercule et d’Antée, les Adieux de Léonidas, Vénus et Vulcain, il ne se doutait pas qu’il dût un jour, lui, le dernier élève de David, abandonner les traditions sacrées des ateliers de la république et de l’empire, passer en transfuge dans le camp des barbares qui ont détruit le culte du deltoïde et de la draperie mouillée, servir gaiement dans cette nouvelle campagne de l’art avec l’ardeur d’un volontaire, et y acquérir une gloire presque égale à ses classiques triomphes. Ces transformations, fort communes en politique, sont rares dans les arts. On abandonne beaucoup plus aisément un maître, un parti, un drapeau, que des habitudes d’esprit, de goût et de main. Parmi les artistes ses contemporains, M. Couder est peut-être le seul qui soit franchement homme de son temps. Cette circonstance fait honneur à l’indépendance de son esprit et à la souplesse de son talent. Son dernier tableau de la Fédération n’est pas proprement un tableau d’histoire ; c’est une peinture de panorama, une vue générale topographique du Champ-de-Mars, tel qu’il put s’offrir de loin à un spectateur placé sur une hauteur, le 14 juillet 1790, vers l’heure de midi. Les figures ne sont que des élémens partiels d’un effet d’ensemble ; elles n’entrent dans la composition que comme masses ; elles n’ont individuellement aucune signification particulière, pas plus celle-ci que celle-là. On pouvait concevoir et représenter autrement ce grand fait, mais si on accepte le principe de la composition, qui est de subordonner le côté historique et moral du fait à l’aspect matériel général de la scène, on doit reconnaître que M. Couder a parfaitement rempli son programme. Les lignes générales sont habilement disposées ; il y a de l’air et de la lumière partout ; les innombrables petites figures des premiers plans sont pittoresquement groupées, galamment tournées, spirituellement touchées. M. Couder en a pris naturellement un peu partout, dans les peintures, les caricatures, et les ouvrages illustrés du temps ; mais il a fort ingénieusement et adroitement mis en œuvre ces matériaux indispensables.

Parmi les tableaux qu’on nomme officiels, il y a, comme de coutume, quantité de batailles, qui ne diffèrent guère que par l’uniforme des combattans. Il est remarquable que, bien qu’en théorie rien ne semble devoir exciter plus d’intérêt et d’émotion que la vue d’hommes qui s’entretuent dans une lutte à mort, il n’y a rien, en fait, qui soit regardé plus froidement que ces sortes de peintures, et il faut un talent d’un ordre supérieur pour vaincre cette indifférence. M. Debay, dans une Bataille de Dreux, a amoncelé un énorme matériel d’armes, de drapeaux, d’harnachemens, de panaches et d’équipages de guerre,