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pastiche, ni un plagiat. C’est une simple assimilation habile, savante et intelligente du goût et de l’esprit d’une autre époque. Considérée en elle-même, cette œuvre n’est nullement méprisable. Comme composition, comme style, et surtout comme expression, elle n’aurait certes rien à craindre de la comparaison avec aucune autre des peintures du même genre de notre temps. Son seul défaut est de vouloir produire, et de produire réellement, une illusion sur sa date. Il est bon de s’appuyer sur la tradition, mais il ne faut pas la recommencer. Il arrive de là que cette peinture, assurément fort méritoire, n’a pas, que nous sachions, excité l’intérêt qu’on accorde à des œuvres très inférieures. M. Savinien-Petit, après avoir mis tant d’intelligence et de talent à refaire des choses faites, songera, sans doute, une autre fois un peu plus à lui, et ne voudra plus mettre son individualité, évidemment heureuse et bien douée, sous la protection de souvenirs qui l’absorbent entièrement à leur profit et l’annulent.

Pour arriver de cette Descente de Croix à l’Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem, de M. Muller, il faut passer par-dessus quatre siècles au moins, si toutefois l’œuvre de M. Muller appartient à une phase de l’art quelconque. On peut, sans être trop pédant, s’étonner d’un tel mépris de toute vérité historique, de toute convenance locale et morale. Les peintres coloristes ont fait, en général, assez bon marché de tout cela, et on ne les chicane pas trop sur des anachronismes et des caprices d’invention dont ils nous indemnisent largement par le charme et la puissance de leur exécution. Mais la peinture de M. Muller n’a pas le droit d’user et d’abuser de la liberté à ce point, qu’il lui soit permis de transformer une scène de l’Évangile en une scène de carnaval ou une foire de bohémiens. Il lui est encore moins permis de braver les règles de la perspective et des proportions, et il devrait avant tout mettre ses figures à leur place. Ceci est de règle. Il y a cependant dans ce chaos un certain entrain d’exécution, et un véritable sentiment de couleur. Malheureusement tout l’effet se réduit à un tapage de tons plus étourdissant que piquant. Le groupe des trois hommes, à droite, plongés dans la demi-teinte, est peint avec une grande finesse et transparence de tons, jointes à beaucoup de vigueur. Le maître de M. Muller, M. Delacroix, aura lieu d’être content de ce morceau, qu’il ne désavouerait peut-être pas. Si M. Muller parvenait un jour à s’assurer de ce qu’il cherche et de ce qu’il veut, au lieu de divaguer, comme il paraît le faire, en proie à une sorte de manie de colorisme sans but et sans frein, on pourrait espérer de son incontestable talent quelques œuvres mieux digérées. Cette manie, du reste, s’étend, et attaque jusqu’à des ar-