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des formes diverses, est à la fois la force et la faiblesse de cette société ; c’est là ce qui la met si souvent à l’agonie, mais c’est là aussi ce qui l’empêche de mourir. Enfin, malgré les efforts d’un parti puissant à la tête duquel étaient M. le dauphin et Mesdames, Louis XV renvoya de France la compagnie de Jésus (1764).

III.

Deux ans après, ce fut le tour de l’Espagne. Ici une obscurité impénétrable enveloppe encore les causes de la mesure. Jamais motif plus léger n’amena un résultat plus décisif. Le nom donné par l’histoire à cet évènement en démontre la frivolité : on le nomme l’émeute des chapeaux. On portait alors à Madrid de grands chapeaux à longues ailes, semblables à celui que Beaumarchais donne à Basile. Dans l’ardeur de réforme qui alors s’appliquait aux petites choses comme aux grandes, Charles III voulut les supprimer. Il y était d’ailleurs autorisé par les nombreux abus qui résultaient de cette coiffure, jointe à l’usage de grands manteaux. Le ministre Squillace voulut défendre les capas et les chambergos ; mais ce ministre était Napolitain : les Espagnols ne voulurent pas obéir, ils se révoltèrent. Squillace fut assiégé dans sa maison, qui s’écroula sous mille bras ; le ministre n’échappa à la mort que par la fuite. En vain les gardes wallones marchèrent contre le peuple, en vain le roi lui-même harangua les séditieux du haut d’un balcon ; ni la force armée, ni la majesté royale, ne parvinrent à apaiser le tumulte : seuls, les jésuites y réussirent avec tant de facilité, qu’on les accusa d’avoir fomenté l’émeute. Le roi le crut et ne l’oublia pas.

La révolte avait duré plusieurs jours. Les ambassadeurs étaient alors peu familiarisés avec ces épisodes populaires. Le marquis d’Ossun, qui représentait la cour de Versailles à Madrid, poussé par un zèle chevaleresque, offrit au roi d’Espagne les secours de la France. Il ne fut pas désavoué, la mode n’en était pas encore établie ; mais Charles III, Castillan de cœur, répondit par un refus qui mit à l’aise le roi de France. Louis XV avait été très effrayé des troubles de Madrid. Curieux des moindres détails de cet évènement, il les recherchait avec l’anxiété d’une ame faible et la prescience d’un esprit juste. À cette époque, une révolte était encore un accident, et le bruit d’une émeute dans un pays voisin avait de quoi réveiller le souverain le plus apathique. D’ailleurs, malgré son insouciance, Louis XV se sentait profondément