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LE SALON.

prend que la sculpture, ennuyée de se morfondre dans l’immobilité et l’abandon, tandis que sa compagne courait les aventures et se signalait par quelques exploits brillans et heureux, veuille aussi tenter la fortune et faire du nouveau ; mais pour cela elle ne doit compter que sur ses propres ressources. C’est en bâtissant sur son propre fonds, avec ses propres moyens, d’après ses propres lois, qu’elle doit procéder à sa réforme, si réforme il y a. Michel-Ange et les Florentins, Jean Goujon, Puget, ont innové. Ils ont fait voir qu’on pouvait faire parler au marbre une autre langue que la langue grecque et romaine ; mais ils ne sont pas allés demander des secours à la peinture et encore moins à la littérature : ils n’ont cherché à mettre dans la pierre que ce qu’elle peut recevoir, c’est-à-dire des lignes et des formes, et par ces lignes et ces formes une expression générale de la vie et du mouvement. Innover en sculpture ne consiste donc pas à changer le but et les fonctions de cet art, mais à trouver dans ce monde des formes et des mouvemens organiques, des types jusque-là inaperçus ou incomplètement réalisés ; non à lui imposer une idée étrangère, mais à faire rendre à la sienne des développemens inattendus. C’est là uniquement ce qu’ont voulu faire, ou du moins ce qu’ont fait, les sculpteurs, si rares, qui sont parvenus à se créer une manière, c’est-à-dire, en d’autres termes, à découvrir et à mettre en saillie quelque côté nouveau de l’idéal accessible à la sculpture, car ce qui, dans l’artiste, s’appelle une manière est, dans l’œuvre, quelque chose de fixe et de permanent qui fait désormais partie du monde réel, ou plutôt n’est qu’une des faces de ce monde rendue visible par la vertu créatrice de l’art.

Ces observations suffiront peut-être pour faire comprendre que le genre d’innovation dans lequel paraît vouloir décidément entrer M. Maindron ne saurait être approuvé. Sa Velléda est une conception pittoresque ou même littéraire, plutôt que sculpturale ; il a voulu faire exprimer à son marbre un ensemble d’idées et de sentimens subtils et compliqués à peine abordables pour la peinture, et que la poésie pouvait seule dérouler ; il a cru qu’on pouvait traduire en sculpture une page des Martyrs. Cette page, qu’on lit dans le livret, nous instruit de son dessein ; mais ce qu’il a fait est fort différent de ce qu’il a voulu faire, et tellement différent, que sa figure est en perpétuelle contradiction avec le texte du poète, loin d’en être une traduction ou même une simple imitation. Qu’est-ce d’ailleurs qu’un morceau de sculpture qui, pour se faire comprendre et juger, a besoin d’une page d’explications ? Le bras du Moïse, détaché, conserve toute sa valeur. Que la statue soit détruite, il restera un chef-d’œuvre.