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Ce qui précède n’a d’autre but que de renvoyer au jury la petite leçon qu’il a voulu donner à la critique en la chargeant cette année d’un surcroît de besogne, dont elle se serait assurément bien passée.

L’aspect général du salon a paru plus décourageant que de coutume. L’absence systématique de quelques artistes qui ont pris le parti prudent d’assurer leur gloire en ne l’exposant plus à des comparaisons, la fournée additionnelle de sept ou huit cents tableaux, dont on peut se dispenser de parler, mais qu’on ne peut éviter de voir, donnent à la galerie des peintures une physionomie des plus tristes et des plus maussades. Il faut dire aussi que la satiété est pour beaucoup dans cette impression. À peine sortis d’un salon, on nous fait entrer dans un autre, dont l’aspect ne diffère guère du premier que comme une rue parcourue en un sens diffère de la même rue parcourue en sens inverse. Et comment en serait-il autrement ? Que pouvez-vous attendre de nouveau et d’imprévu du travail de quelques mois d’artistes dont les trois quarts exposent, depuis dix, douze, quinze et vingt ans, avec la plus cruelle ponctualité ? En 1824 (notre mémoire ne va pas plus haut), M. Rouillard envoya dix-huit portraits à l’huile, grandeur de nature ; en 1836, il se réduisit ou on le réduisit à huit ; dans ces dernières années, son contingent varie entre six et trois. Il y a progrès sans doute, mais enfin la centième de ces estimables peintures ne nous apprend rien de plus que la première. Ceci est un exemple entre mille. Rien de plus rare au salon que les visages nouveaux, et ceux qui s’y montrent de temps en temps vieillissent si vite, qu’ils se confondent presque immédiatement avec ceux des anciens habitués. Ce régime d’exposition coup sur coup est véritablement accablant. Au lieu de stimuler et de propager le goût du grand et du beau, il l’énerve et l’affadit par l’habitude, et au lieu de développer l’activité intellectuelle de l’art, il ne provoque peut-être en définitive que les efforts matériels d’une fabrication.

Ce dernier effet se révèle déjà avec un caractère de généralité inquiétant. Le salon tend évidemment à se transformer en bazar. La masse des ouvrages produits en vue d’une vente immédiate augmente de jour en jour, et cette année un bon tiers des tableaux ne sont évidemment que des articles de commerce. Paris est aujourd’hui la grande fabrique de peintures de l’Europe. Il expédie en gros des tableaux, comme des gants, des châles et des tabatières. Pour suffire à la demande, l’art a dû prendre les allures d’une industrie, et se soumettre aux deux premières conditions de la production industrielle, la rapidité d’exécution et le bon marché. De là cette masse toujours