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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

gent pour moi, et je commence à me croire un faisan doré et à me rengorger sous le beau plumage dont il lui a plu de me revêtir. » Dans le courant de l’année 1815, ce retour de sentimens alla si loin, que Byron médita de faire un voyage à Édimbourg avec Moore, afin de s’y lier personnellement avec son critique. « Vous et moi (sans nos femmes), écrivait-il à Moore, prendrons notre vol vers Édimbourg pour aller embrasser Jeffrey. » Ce projet ne put se réaliser. Il y eut l’année suivante dans la Revue une violente critique du Christabel de Coleridge ; Byron ayant patroné cet ouvrage de ses éloges, quelques traits de la censure rejaillissaient sur lui ; il ne s’en montra pas blessé. « Je suis très fâché que Jeffrey ait attaqué Coleridge, dit-il, car le pauvre diable en souffrira moralement et du côté de la bourse. Quant à moi, il est bien libre. — Je n’en estimerai pas moins Jeffrey, malgré tout ce qu’il pourra dire contre moi ou mes ouvrages à l’avenir. » Et en 1817, sur l’appréciation du troisième chant de Childe-Harold, il écrivait à Moore : « Je suis parfaitement content de l’article de Jeffrey, et je vous prie de le lui dire, en lui présentant mes souvenirs, non que je suppose qu’il lui importe ou qu’il lui ait jamais importé que je sois satisfait de lui, mais c’est une simple politesse de la part de quelqu’un qui n’a encore eu avec lui que de simples relations de bienveillance, mais qui pourra bien faire sa connaissance quelque jour. Je voudrais aussi que vous ajoutassiez ce que vous savez fort bien : c’est que je n’ai jamais été et ne suis pas même à présent l’homme sombre et misanthrope pour lequel il me prend, mais un joyeux compagnon, fort à mon aise avec mes amis intimes, et aussi loquace et aussi enjoué que si j’étais un bien plus habile homme. »

Il y avait une réelle bonté d’ame, dans un poète comme Byron, à se montrer si heureux des éloges de Jeffrey, et à se contenter de relever ses critiques sur le ton de légèreté enjouée qu’on vient de voir. M. Jeffrey louait, il est vrai, dignement son style, ce style patricien dont Walter Scott écrivait qu’il avait fondé une sorte de chambre haute dans la poésie. « De tous les écrivains vivans, disait-il en l’opposant comme contraste aux lakistes, il est le plus concis et le plus condensé. Dans ses vers nerveux et mâles, on ne trouve ni amplification laborieuse de sentimens communs, ni de ces petits mots polis avec une coquetterie mesquine, et j’espère que le brillant succès qui a récompensé son dédain pour ces pitoyables artifices couvrira pour toujours de confusion cette race de poètes gémissans et vains, qui peuvent vivre, durant un demi-volume, sur une seule pensée, et couvrir plusieurs pages in-quarto des détails d’une description ennuyeuse. Dans