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politique s’en chargèrent et en étaient seuls capables ; la revue critique, qui introduisait la division du travail et la discussion dans la sphère intellectuelle en ramenant tout aux intérêts présens, fut le moyen dont ils se servirent. S’ils sont arrivés à leurs fins, je le laisse dire à M. Jeffrey lui-même.

« La Revue d’Édimbourg, on le sait bien, écrit-il dans le court avertissement qui précède ses essais, visait haut dès le début ; elle ne voulait pas se borner à l’humble tâche de prononcer sur le mérite littéraire des ouvrages qui se présentaient à elle ; elle faisait profession d’approfondir les principes sur lesquels ses jugemens devaient s’appuyer, et d’exposer des vues larges et originales sur les questions auxquelles ces ouvrages pouvaient se rapporter. En somme, je pense qu’il est aujourd’hui généralement admis qu’elle a atteint le but qu’elle se proposait. Des erreurs nombreuses, quelques grosses étourderies, ont pu être commises ; on s’est laissé entraîner à des excès par l’esprit de parti, par une présomptueuse confiance et une tendance trop vive au blâme. Malgré ces fautes, on accordera, je pense, que sur les grands objets que poursuit l’esprit humain, la Revue d’Édimbourg a réussi à familiariser le public avec des spéculations plus élevées, des vues plus profondes et plus étendues que celles auxquelles il était accoutumé ; on accordera qu’elle a réussi à augmenter l’influence de cette sorte d’écrits périodiques, non-seulement dans ce pays, mais dans la plus grande partie de l’Europe, qu’elle a agrandi la capacité du public croissant auquel ces écrits s’adressent, et lui a donné un goût plus vif pour la forte nourriture qui lui était offerte alors pour la première fois. »

M. Jeffrey peut revendiquer avec un légitime orgueil la plus grande part de ce succès. Les quatre volumes qu’il vient de publier contiennent à peine le tiers de ce qu’il a écrit dans la Revue d’Édimbourg ; la diversité des travaux qui y sont reproduits suffit pour donner une prodigieuse idée de l’ampleur et de l’activité de son esprit. Il n’y a qu’à citer les divisions sous lesquelles il les a classés : littérature générale et biographie littéraire, — histoire et mémoires historiques, — poésie, — psychologie, métaphysique et jurisprudence, — romans et œuvres d’imagination en prose, — politique générale, — mélanges. On voit que M. Jeffrey a porté à peu près sur tout l’esprit critique et l’analyse. On voit sur quelle variété d’objets, dans une société à laquelle la discussion des intérêts politiques imprime un puissant mouvement, l’esprit critique exerce et nourrit ses forces. Je ne veux pas discuter le classement que M. Jeffrey a cru devoir faire de ses essais ; je les examinerai dans un ordre plus simple et plus logique,