Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/317

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311
LES ESSAYISTS ANGLAIS.

absorber dans la confuse mêlée de ses intrigues. On y était également à l’abri du grossier tapage de l’industrie et du commerce. La vie purement intellectuelle, la vie d’observation, de réflexion et de poésie, y trouvait ce repos, ce loisir, cet isolement des autres préoccupations, à la faveur desquels elle se déploie si volontiers. Au sein de cette société naturellement bien classée, on pouvait, dans la fréquentation assidue de cercles choisis, tirer des échanges intimes de la pensée ce renouvellement des forces de l’intelligence que les esprits supérieurs aiment et recherchent dans les rapports de cette nature. Ce caractère distingué de la société d’Édimbourg devait avoir une vive influence sur la jeunesse instruite de cette ville : il s’y reflétait en une généreuse ardeur pour les travaux d’imagination et de réflexion, en une active et féconde émulation de talent. De là ces debating societies, ces nombreuses associations de jeunes gens où l’on se réunissait pour se former aux discussions littéraires et politiques. Ce fut dans un cercle de ce genre que sir James Mackintosh rencontra notre Benjamin Constant, « Suisse de mœurs originales et de grand talent, » comme il dit dans son journal. Dans la plus remarquable de ces réunions, la speculative society, M. Jeffrey lia avec Walter Scott une étroite amitié. Ce que ces jeunes esprits gagnaient à ces exercices en étendue, en profondeur, en force et en souplesse, ils l’ont montré depuis. On peut dire que la Revue d’Édimbourg en est sortie ; la debating society est bien reconnaissable dans l’origine de ce recueil.

La revue critique, telle qu’elle fut fondée par MM. Sydney Smith et Jeffrey, est en effet la discussion vaste et approfondie et le gouvernement représentatif pour ainsi dire introduits dans la littérature. Une entreprise semblable ne pouvait être tentée que par des esprits façonnés par les mœurs politiques d’un pays libre ; elle devait bien l’être dans la situation nouvelle qui s’ouvrait à l’Angleterre au commencement de ce siècle. C’était l’époque où l’agitation imprimée aux idées depuis le ministère de lord Chatham commençait à avoir un retentissement large, profond, et qui ne devait plus s’arrêter, dans cette extension des classes moyennes, qui allait modifier la constitution de la société anglaise. Accrues, fortifiées, enrichies, remuées en tout sens par les progrès des intérêts industriels, que la guerre combinée avec les inventions mécaniques provoquait alors, les classes moyennes, en entrant d’une manière plus sérieuse et plus suivie dans le mouvement politique, allaient porter sur toutes choses une plus curieuse activité de pensée. Il fallait faire l’éducation de ce nouveau public créé par un mouvement politique. Des esprits fortifiés eux-mêmes par l’activité