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ÉCRIVAINS MODERNES DE L’ALLEMAGNE.

premières pages, aux merveilleux conseils qui vont suivre. Le principe qu’elle pose tout d’abord est celui-ci : Le souverain n’a qu’un devoir : conquérir la liberté, non-seulement pour lui, mais pour son peuple. Or, qu’est-ce que la liberté ? C’est la vérité. Comment arrive-t-on à la vérité ? Par la critique, c’est-à-dire en secouant résolument toutes les notions imposées, toutes les traditions sociales ou religieuses, en s’abandonnant sans réserve à l’instinct, en étant soi enfin, rien que soi, et, une fois parvenu à cet affranchissement suprême, en brisant les chaînes du peuple et en le dégageant de ses devoirs conventionnels. Le peuple, selon Bettina, c’est le corps, dont le souverain est l’ame ; il est donc indispensable que ce corps jouisse du plein exercice de sa force, si l’ame veut jouir elle-même de la plénitude de ses facultés. Cette image, étourdiment choisie par Mme d’Arnim pour exprimer le rapport des princes aux sujets, des gouvernans aux gouvernés, entraîne l’auteur à une énorme inconséquence qui détruit déjà, et sans aller plus loin, la valeur philosophique de tout l’ouvrage. Bettina, apôtre de la démocratie nouvelle, s’adresse au prince comme à l’élu de Dieu ; elle le supplie à genoux de vouloir bien communiquer à son peuple le souffle de vie. Reconnaissant ainsi le principe du droit divin et la légitimité de la puissance individuelle, elle exhorte le monarque à se montrer homme de génie ; elle l’invite à se faire le premier démagogue de l’Allemagne, et le presse tout simplement de se détruire lui-même en appelant ses sujets à la liberté et à l’égalité absolues. Mais prenons patience, nous ne sommes pas à bout de contradictions. Dans la seconde partie du premier volume, Mme la conseillère, ennuyée sans doute de parler seule, appelle, pour exciter sa verve, deux interlocuteurs, dont l’un, M. le curé, va prendre à tâche de soutenir les intérêts de l’église, tandis que l’autre, M. le bourguemestre, représentant en sa personne la classe entière des philistins, se chargera de défendre tant bien que mal la lettre de la loi écrite. Ces nouveaux personnages disputent sur un ton presque toujours burlesque et dans le pur dialecte francfortois avec Mme la conseillère, qui met en déroute, aux cris de vive la liberté et de vive la fantaisie ! la masse compacte de leur érudition et de leur expérience. Elle en veut surtout au théologien, à qui elle verse abondamment du vin de Champagne, et lui démontre, en trinquant avec lui (klirr, klirr, écrit Mme d’Arnim pour indiquer la joyeuse rencontre des verres au fort de la dispute), que le plus insupportable de tous les jougs, c’est celui des croyances bibliques. Les sept jours de la création apparaissent à la conseillère comme le symbole de toutes les