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crée pas seule. » — Bettina, du reste, ne se fait elle-même aucune illusion. Elle peint ainsi son impuissance : « Toute cette vie, ce frémissement et ce bouillonnement intérieurs passent sans rien produire et renaîtront peut-être en moi de mille manières sans laisser aucune trace. » Ailleurs encore elle compare ses idées à des papillons sur des fleurs ; « ils fuient, dit-elle, dès qu’elle essaie de les retenir. »

Cependant, délivrée de l’histoire et de la philosophie, Bettina se jette de nouveau, et avec plus d’ivresse, au sein de la nature. Elle prélude, elle improvise sur tous les incidens vrais ou imaginaires de sa vie ; elle poétise toutes ses impressions, tous les battemens de son cœur. Tantôt elle raconte son premier remords lorsqu’il lui arrive de tuer au vol un pauvre oiseau qu’elle enterre avec larmes sous sa fenêtre ; tantôt elle gémit sur les beaux peupliers du jardin de sa grand’mère abattus en son absence, et ses lamentations, vagues et harmonieuses, ont je ne sais quoi d’entraînant dans leur obscurité même :

« Arbres qui m’abritez, votre verdure ombreuse se reflète dans mon ame, et du haut de vos cimes je regarde au loin, émue de désir.

« Le jour fuit, et ma pensée épie la réponse que peut-être une brise messagère lui apporte de toi, ô nature !

« Ô toi que j’invoque ! pourquoi ne me réponds-tu pas ? Toujours également splendide ! toute vivante !

« Seigneur ! Seigneur ! ta création me donne frissonnement sur frissonnement !

« Voici que le char du tonnerre descend ; les monts retentissent ; l’atmosphère est remplie de bruits, de souffles, de parfums. — Où courez-vous, nuées ? Brumes, où allez-vous toutes ? — Pourquoi suis-je ? pourquoi m’attirer sur ton sein, ô nature, puisque ce qui émane de tes profondeurs ne m’apaise pas plus que les eaux qui s’échappent de ton sein ne désaltèrent la montagne ?

« Je t’entends, ô tonnerre, passer lentement sur les monts pendant le jour paisible, et ton écho retentissant vibre dans les cordes de mon ame ; elle tremble, mon ame, et ne peut soupirer.

« Joie et espoir, vous m’avez souvent bercée comme les cimes frémissantes ; vous me sembliez éternels naguère, comme l’est aujourd’hui, pour moi, le jour morne et désolé.

« Voici que les nuées s’entr’ouvrent, éclatent sous ta force, ô tonnerre sauveur ! et la terre se désaltère. Et tes foudres, où vont-elles ? Et vous respirez de nouveau, ombrages qui m’abritez !

« Et je veux revivre avec vous tous, arbres qui buvez les eaux bénies du ciel et qui frissonnez au vent, pleins d’une nouvelle allégresse. »