Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

parvenu. Tout dans Pombal choquait Choiseul, qui le trouvait injuste, cruel, et, qui pis est, de mauvais goût.

Cependant ils se rapprochèrent un moment. Choiseul avait résolu le pacte de famille ; il espéra y entraîner le Portugal, à cause de l’origine capétienne de la maison de Bragance. D’ailleurs, une haine commune les réunissait : la France était alors en guerre avec les Anglais, et le plus vif dépit animait secrètement contre eux le marquis de Pombal. Sa conduite avec l’Angleterre avait été bizarre. Une ou deux pièces diplomatiques très hardies lui ont valu et lui valent encore la réputation de patriote et d’ennemi des Anglais. Le parti qui s’inspire des idées de ce ministre (et ce parti existe toujours en Portugal) exalte son indépendance, qui n’était qu’apparente. Opposé à l’Angleterre en paroles, Pombal lui était toujours soumis de fait. Tandis qu’il proclamait hautement la liberté du Portugal, il soulevait la ville de Porto pour l’établissement de la compagnie qui livrait aux Anglais le monopole des vins. Il est même de tradition dans le monde politique à Lisbonne que ces rodomontades du marquis étaient parfois concertées avec le cabinet de Londres pour servir de voile à des complaisances[1]. Il y eut pourtant un refroidissement réel entre l’Angleterre et le Portugal ; les Anglais, qui le croirait ? avaient vu de mauvais œil l’expulsion des jésuites : le commerce en avait souffert, tant les intérêts de l’ordre y avaient été engagés. Les possessions portugaises d’outre-mer virent alors éclater des troubles que Pombal, dans des pièces officielles, dont nous pouvons garantir l’authenticité, attribue à l’influence britannique[2].

L’union entre les cabinets de Paris et de Lisbonne ne pouvait être de longue durée. Dans les relations du Portugal avec l’Angleterre, la plainte et l’obéissance sont également inévitables. Choiseul s’efforça d’attirer le Portugal dans le pacte de famille ; ce fut là qu’il échoua. Les ambassadeurs d’Espagne et de France présentèrent simultanément, au nom de leurs cours, des notes pour engager le roi

  1. Le marquis de Pombal, lié avec les whigs et particulièrement avec M. Pitt (lord Chatham), trouva beaucoup moins de sympathie dans le parti tory, représenté au ministère, peu après l’avénement de George III, par lord Bute.
  2. On trouve une trace de cette singulière imputation dans les lettres de Mme du Deffand. Lady Rochford, ambassadrice d’Angleterre, passait pour intriguer avec les jésuites et avec le duc de Lavauguyon, leur protecteur. (Lettre du 13 février 1769.) — Nous avons trouvé des accusations du même genre aux archives impériales de Rio-Janeiro, dans la correspondance du marquis de Pombal avec les vice-rois du Brésil ; nous en possédons des copies.