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riété et quelque ressource, susciter un but, même factice, à travers ces misères obscures où il se consumait. Il l’aborde du premier jour avec inconséquence ; même avant 89, il est démocrate, il rêve à dix-neuf ans la république américaine et je ne sais quel âge d’or de pureté et d’égalité au-delà des mers, tandis qu’en attendant il se ruine de toute façon à Paris, qu’il pratique de son mieux le vers de Voltaire :

Dans mon printemps j’ai hanté les vauriens,

et mène la vie d’un jeune patricien assez dissolu. Ces inconséquences sont ordinaires de tout temps ; elles l’étaient surtout à la veille de 89. Sa condition à Brunswick ne fait que le rejeter plus avant dans le mépris des grands et des cours, mais elle n’est guère propre à lui rendre cette estime sérieuse et ce respect de l’humanité qui est pourtant le fond de toute politique généreuse et libérale. Son esprit nous étale tour à tour sur ce point toutes ses vicissitudes : « Je crois que je me livrerai à la botanique, écrit-il le 17 septembre 1790, ou à quelque science de faits. La morale et la politique sont trop vagues, et les hommes trop plats et inconséquens. Tout en prenant cette résolution, je suis à faire un ouvrage politique qui doit être achevé en un mois pour de l’argent. Je me suis mis en tête qu’avec les restes de mon esprit je pourrais payer mes dettes, et j’ai fait avec un libraire l’accord de lui faire un petit ouvrage d’environ 100 pages (anonyme, comme vous le sentez bien) sur la révolution du Brabant… » Ces projets, ces ébauches d’ouvrages démocratiques se succèdent rapidement sous sa plume et occupent ses loisirs de chambellan. Nous le retrouvons occupé plus sincèrement à réfuter Burke dans la lettre suivante, qui est bien assez jolie pour être citée en entier ; elle est de sa meilleure et de sa plus voltairienne manière. Il a repris, en l’écrivant, ses high spirits, comme il dit.

Ce 10 décembre 1790.

« Je relis actuellement les lettres de Voltaire : savez-vous que ce Voltaire que vous haïssez était un bon homme au fond, prêtant, donnant, obligeant, faisant du bien sans cet amour-propre que vous lui reprochez tant ? Mais ce n’est pas de quoi il s’agit. Il s’agit qu’en relisant sa correspondance, j’ai pensé que j’étais une grande bête et une très grande bête de me priver d’un grand plaisir parce que j’ai de grands chagrins, et de ne plus vous écrire parce que des coquins me tourmentent. C’est-à-dire que parce qu’on me fait beaucoup de mal je veux m’en faire encore plus, et que parce que j’ai beaucoup d’afflic-