Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
REVUE DES DEUX MONDES.

roi de Portugal avait rendu un dernier hommage aux antiques exigences de la papauté. En Portugal, le tribunal du nonce avait jusqu’alors conservé le droit de prononcer sur les ecclésiastiques. Décidé à les soumettre à une commission nommée par lui-même, Pombal n’avait pas cru pouvoir se dispenser de solliciter une autorisation nominale à la cour de Rome. Celle-ci avait pris la demande au sérieux et différa l’envoi d’un bref. L’impatient ministre ne l’attendit pas ; le bref se croisa avec la loi d’expulsion. Tous les évêques de Portugal reçurent du gouvernement l’ordre d’ôter aux jésuites l’instruction de la jeunesse, de les remplacer sur-le-champ à l’université de Coïmbre et partout. En quelques jours, les bâtimens de la marine royale et marchande se remplirent de ces religieux, qu’on jeta sur les côtes d’Italie. Les mêmes injonctions, parvenues au Brésil et dans toutes les colonies portugaises, y furent immédiatement exécutées. Le pape, à cette nouvelle, fit brûler en place publique le manifeste de Pombal. Pour toute réponse, le ministre portugais confisqua les biens de la société et les déclara réunis à la couronne[1]. Il fit plus : profitant d’une démarche imprudente du nonce, il lui envoya ses passeports et rappela de Rome, avec un éclat affecté, l’ambassadeur de Portugal accrédité près du saint-siége.

Peu favorables d’abord à l’administration de Pombal, les philosophes du XVIIIe siècle se rendirent-ils alors à l’excès de son zèle ? Rome humiliée, un nonce chassé, les jésuites abolis, n’était-ce pas assez pour eux ? Dans tous les pays soumis à l’esprit nouveau, en Angleterre, en France surtout, le ministre portugais ne devait-il pas être devenu l’idole de l’opinion ? Voltaire, Diderot, d’Alembert, ne devaient-ils pas porter aux nues l’ennemi déclaré des jésuites et du pape ? Ils s’en abstinrent plus que jamais. On en comprendra aisément la raison : Pombal était le destructeur des jésuites, mais le protecteur de l’inquisition. Sûr du patriarche de Lisbonne et débarrassé du nonce, il avait trouvé dans ce corps redoutable une arme commode et prompte, une sorte de comité de salut public ; aussi n’en parlait-il qu’avec enthousiasme. Il disait un jour à un chargé d’affaires de France : « Je veux réconcilier votre pays avec l’inquisition et faire voir à l’univers

  1. Voici une anecdote dont nous pouvons garantir l’authenticité. Dans la précipitation du départ, les jésuites de Lisbonne confièrent leurs trésors à l’un de leurs serviteurs ; celui-ci les conserva et les fit passer à ses maîtres avec une telle fidélité, qu’ils lui firent, par reconnaissance, une grande fortune. C’est de lui que descend un homme politique qui a beaucoup marqué dans les dernières vicissitudes du Portugal.