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l’appui de ses armes apostoliques. Benoit XIV n’avait jamais aimé les jésuites, qu’il connaissait à fond, il avait prédit leur chute ; mais comme il était dans la destinée de ce sage et spirituel pontife d’éluder toutes les questions décisives, il n’eut que le temps d’ordonner la visite des moisons de l’ordre par le patriarche de Lisbonne, et pour dernière fortune, il mourut sans avoir prononcé entre la société de Jésus et la couronne de Portugal (1758).

Deux familles puissantes, les Mascarenhas et les Tavora, se trouvaient alors à la tête de l’aristocratie portugaise. Pombal n’avait point de parti pris contre elles. Il s’était fait introduire par sa femme dans la société de dona Éléonor, épouse du marquis de Tavora, ancien gouverneur de l’Inde, et, à tous égards, la plus grande dame du Portugal. C’était une personne respectable, mais d’une humeur altière, et on remarquait dans ses yeux un trait fatal, présage de sa destinée<ref> Ce regard, qui m’a frappé dans le portrait de Mme de Tavora, se retrouve également dans celui de Strafford. </<ref>. Pombal avait osé briguer pour son fils cette noble et inaccessible alliance. « Hélas ! dit-il un jour à un religieux du sang des Tavora, le roi a beau me combler de grâces, mon bonheur ne serait complet que si l’héritier de ma fortune devenait le gendre de l’illustre dona Éléonor. — Votre excellence, répondit le moine, lève les yeux bien haut. » Un refroidissement subit s’éleva dès-lors entre le ministre et la marquise ; elle avait sollicité le titre de duc pour son mari, Pombal fit échouer ses demandes ; enfin, de l’indifférence à la haine il n’y eut qu’un pas, et le sang bleu tout entier prit parti dans cette querelle. Le duc d’Aveïro surtout accabla le ministre de ses mépris. Aveïro, homme orgueilleux et insolent, était revêtu des plus grandes charges, et allié à la famille royale. Dès ce moment, l’échafaud des grands fut dressé dans l’esprit de Pombal. Entretenue dans ses ressentimens par les jésuites, cette noblesse de cour menaçait le pouvoir et même la vie du ministre, quand tout à coup, dans la nuit du 3 septembre 1758, les portes du palais se fermèrent ; le roi cessa de se montrer pendant plusieurs jours ; aucun bruit ne circula sur les causes de cette clôture ; tous les efforts de Pombal tendirent à inspirer la plus grande sécurité à ceux qu’il avait désignés pour victimes. Enfin, après une longue attente, le duc d’Aveïro, la famille de Tavora, leurs parens, leurs amis, furent arrêtés dans leur demeure ; la fière doña Éléonor, arrachée de son lit, se vit traînée, à moitié nue, dans un couvent de Lisbonne, et le reste