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REVUE. — CHRONIQUE.

caractère politique ; mais telles sont les susceptibilités de l’opinion et les périls de la vie parlementaire, qu’on s’y compromet aussi souvent par son silence que par ses paroles.

Les succès du ministère ont été interrompus par un échec qui n’est pas sans gravité, sur la disposition principale de la loi du recrutement. On peut dire de cet échec, ce qui est vrai de beaucoup d’autres, qu’il a été gratuitement cherché. Rien, en effet, de moins nécessaire qu’une loi générale sur cette matière, lorsqu’on était décidé à n’y introduire aucun principe nouveau. La loi du 21 mars 1832 est déjà consacrée par un usage décennal. Les dispositions de cette loi sont connues du pays et entrées dans les mœurs ; on rend pleine justice à l’autorité mixte chargée de l’appliquer dans nos départemens. Pourquoi dès-lors la soumettre à un débat contradictoire et à une refonte qui ne font qu’en affaiblir beaucoup la puissance morale ?

On l’aurait compris, s’il s’était agi de renforcer d’une manière sensible la constitution de l’armée, en fondant la réserve sur des bases plus larges. Telle avait été la pensée de M. le ministre de la guerre, pensée que la chambre aurait probablement accueillie, s’il avait cru devoir y persister ; mais on l’a vu retirer successivement et l’idée d’une réserve militairement organisée, et celle du passage sous le drapeau de la totalité du contingent. Dès-lors comment la chambre aurait-elle pu justifier à ses propres yeux et aux yeux des populations elles-mêmes l’énorme aggravation proposée dans la durée du service ? Une telle surcharge imposée aux citoyens ne pouvait être légitimée que par de hautes considérations d’intérêt général. Or, après le rejet de l’amendement de la commission, qui, en stipulant l’appel intégral des 80,000 hommes, tendait à généraliser les habitudes militaires, aucun motif n’existait plus pour porter à huit années la période d’un service qui, sous l’empire de la loi de 1832, n’excède pas six ans et demi. C’est ce qu’a pensé la chambre avec justice, et l’influence du cabinet, qui s’est exercée d’une manière très vive, a pu seule réduire à quelques voix une majorité qui semblait plus considérable.

Une partie seule de la loi nouvelle aura une importance véritable ; elle eut pu former une loi spéciale sur les conditions du remplacement, et ce mode de procéder aurait évité au gouvernement l’inconvénient de remettre en question des faits et des principes consacrés. Le remplacement est une nécessité des sociétés modernes : en vain quelques esprits dogmatiques le condamnent-ils comme une atteinte à l’égalité, comme un privilége accordé à l’opulence au détriment des classes laborieuses. Ainsi que l’a fait observer à la chambre l’honorable rapporteur, l’état des mœurs et l’intérêt véritable du pays protestent contre de telles attaques. Dans une société livrée aux soins de l’industrie, et où chacun est obligé de se créer laborieusement sa place au prix de veilles incessantes, il est impossible d’arracher à la jeunesse qui se prépare aux professions libérales les plus belles et les plus fécondes années de la vie. Il ne suffit pas au rôle actif que la France joue dans le monde que sa