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REVUE. — CHRONIQUE.

tobre, on l’a vu tout à coup replier sa tente pour se diriger vers les horizons brumeux de la démocratie humanitaire.

Quelque vague que fût cette situation nouvelle, elle offrait cependant un côté formidable. M. de Lamartine, portant au parti démocratique l’autorité de son caractère et la puissance de son talent, était à la fois une menace pour le pouvoir et une sorte de garantie pour l’ordre social dans les chances incertaines de l’avenir. Si on pouvait blâmer sa résolution, il était impossible d’en méconnaître l’audacieuse grandeur. S’étant volontairement rendu impossible dans toutes les combinaisons de l’état politique normal, il se présentait dans un lointain obscur comme une ancre dans la tempête et peut-être dans le naufrage. Si cette attitude n’était pas celle d’un homme d’état, elle allait du moins au poète, et lord Byron eût applaudi M. de Lamartine, lorsque tous ses amis politiques le condamnaient. À en juger par divers symptômes, l’honorable député paraît déjà las de ce rôle ; il s’isole, assure-t-on, des liaisons et des amitiés nouvelles où il s’était d’abord si vivement engagé. Son attitude depuis l’ouverture de cette session ferait croire que ses illusions ont vite disparu au contact des hommes et des choses. C’est ainsi que la droiture de ses instincts et l’élévation même de son caractère sont devenus un obstacle insurmontable à cette importance politique qui ne se fonde qu’à force de persévérance dans une direction déterminée. Quoi qu’il en soit, le dernier discours de M. de Lamartine écarte l’idée qu’il puisse devenir désormais le chef d’une portion notable de la gauche, et laisse planer une grande incertitude sur la place que pourra prendre à l’avenir l’illustre orateur.

Une seule question était en réalité à l’ordre du jour dans le débat des fonds secrets, car seule elle préoccupait vivement la chambre, et elle était restée jusqu’alors sans solution. Aussi a-t-on écouté, avec un intérêt qu’on ne lui accorde pas toujours, M. Isambert venant dresser à la tribune le bilan de la situation religieuse et l’acte d’accusation du clergé. Si le débat des fonds secrets avait été retardé de quelques jours, l’honorable membre aurait pu y joindre un acte beaucoup plus sérieux que les faits nombreux énumérés par lui. Que sont les banalités déclamatoires de quelques lettres épiscopales, adressées, au mépris de toutes les convenances, à un ecclésiastique condamné par le jury, auprès de la réponse de M. l’archevêque de Paris à M. le garde-des-sceaux ? Ici, la forme ne manque sans doute ni de mesure ni de convenance ; mais le prélat manifeste d’une manière non équivoque l’intention de protester contre plusieurs articles organiques de la loi du 18 germinal an X, qui, aux yeux de l’autorité civile, a seule déterminé jusqu’à ce jour les rapports administratifs de l’église et de l’état, rapports qui n’ont été réglés qu’au point de vue spirituel par le concordat de 1801. Cette prétention a une singulière portée, et, lorsqu’elle émane d’un prélat aussi modéré que M. l’archevêque de Paris, elle constate au sein du clergé français un travail profond dont on ne saurait mesurer encore les conséquences der-