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les hommes d’état de quelque valeur, procédèrent ainsi et marchèrent à ce but ; mais ils portèrent plus ou moins d’hypocrisie dans l’application de leur système, et, s’ils ont eu recours au pouvoir absolu, ils se sont donné l’air d’en demander pardon à la philosophie. Pombal était peu lettré et n’entretenait pas de relations avec les encyclopédistes français[1]. Il avança leur œuvre sans les consulter. Les surpassant en activité et en franchise, il ne désavoua, n’excusa rien, n’essaya pas même de bégayer le mot liberté, et proclama la civilisation fille légitime du despotisme. Chez lui, point de réticences, point d’explications, point d’amendes honorables ; son esprit limité, mais opiniâtre, ne voulut admettre aucune précaution oratoire, ne voulut entrer dans aucun compromis. Il poussa jusqu’au bout l’arbitraire et lui demanda tout ce qu’il pouvait donner. Les destinées générales de l’espèce humaine ne touchaient point ce sceptique en action, son intelligence n’allait pas si loin ni si haut ; mais les plaies, les souillures particulières au Portugal le frappèrent vivement : il les saisit toutes à la fois du regard et de la main. Une multitude d’édits lancés coup sur coup ne tarda pas à tirer les Portugais de leur léthargie séculaire. Nous n’apprécierons pas ces divers règlemens : l’éloge, le blâme, peuvent s’y appliquer tour à tour ; ils ne sont pas tous conformes aux principes d’une saine politique ; cependant on ne saurait faire un reproche à Pombal de n’avoir pas devancé la science, et dans les erreurs de son siècle ou de son esprit il ne faut pas toujours voir les calculs de l’intérêt et de la cupidité. Sans doute, il n’en était pas exempt ; mais sur l’ensemble de son caractère vu à distance et loin des préventions contemporaines domine une sorte de grandeur imposante, quoique brutale, qui éclata dans une circonstance mémorable. Le tremblement de terre de 1755 avait renversé les trois quarts de Lisbonne. La cour, éperdue, n’eut que le temps de fuir ; le peuple périssait dans les ruines, dans les flammes ou sous le couteau des assassins. Les courtisans voulaient emmener la famille royale à Porto. Pombal seul la retint : « La place du roi est au milieu de son peuple, dit-il à Joseph. Enterrons les morts et songeons aux vivans. » En pareille circonstance, l’ambition n’est pas au concours ; le pouvoir est alors le monopole des ames fortes. Pombal le saisit de droit, il se déclara premier ministre et le fut en effet. À cette époque, les fléaux s’étaient tous réunis contre ce malheureux Portugal. Seul, le ministre

  1. Dans l’immense correspondance de Voltaire, on ne trouve pas une seule lettre adressée au comte d’Oyeïras (marquis de Pombal).