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des paroles de liturgie, et l’on ne saurait, en bonne conscience, diriger le Conservatoire sans se tirer sur les deux oreilles ce bonnet fourré de docteur dont la muse de M. Halévy se plaît à rester affublée, même en ses plus folâtres caprices. Mais bah ! on n’échappe pas à sa nature, et qui a chanté chantera. D’abord ce fut Mme Thillon que l’heureux musicien intronisa, un peu à ses dépens sans doute, car, si les Diamans de la Couronne et le Duc d’Olonne ne réussirent pas comme ses autres ouvrages, qu’ils égalaient au moins en mérite, M. Auber dut bien se dire que la faute en était à sa cantatrice, à cette voix, à ce geste, à cet accent, dont un assez joli minois ne rachèteront jamais le ton discordant, saccadé, et la gaucherie, à la longue insupportable. Aujourd’hui, un sujet nouveau se présente, et M. Auber de s’en emparer à l’instant. Nous voulons parler de Mlle Lavoye. Celle-ci semble créée et mise au monde tout exprès pour ce genre. Vous diriez Mme Damoreau à vingt ans. C’est une pureté, une inflexion charmante, une voix de nature délicate, mais sachant à merveille ménager ses effets, et de l’agilité la plus rare. À ses gammes chromatiques, pas une note ne manque, pas une étincelle aux éblouissantes fusées qui s’échappent de son gosier. Avec un peu plus de diction, de tenue et de physionomie, l’idéal de la cantatrice d’opéra comique serait trouvé. Mais qui sait ? les qualités que nous demandons ôteraient peut-être à ce talent cet air de fraîcheur qui nous charme, cette beauté du diable qui fait son succès au début. Ce que j’aime chez M. Auber, c’est le soin qu’il met à protéger partout où il les trouve les vocations naissantes. Au rebours de certains maîtres qui ne s’adressent jamais qu’à des gloires toutes faites, et laisseraient moisir leurs partitions dans un tiroir plutôt que de les confier à des talens que l’auréole du succès n’aurait point consacrés, l’auteur de la Muette et de Gustave prend volontiers tout ce qui se présente, et sait, dans l’occasion, tirer parti des dispositions les plus modestes. On a comparé souvent M. Auber à M. Scribe. Leurs deux natures, en effet, se ressemblent en plus d’un point, mais le trait que je cite les caractérise également l’un et l’autre. Qui a formé plus de sujets pour le théâtre que l’auteur ingénieux de Bertrand et Raton et du Verre d’eau ? La même chose peut se dire de M. Auber, esprit éminemment fécond dans son activité, et réunissant en sa sphère, si restreinte qu’elle soit d’ailleurs, toutes les qualités d’un véritable chef d’école.

La Sirène s’est classée dès le premier jour parmi les meilleures productions que l’Opéra-Comique ait représentées depuis long-temps. Jamais l’heureuse association n’avait trouvé mieux. Sans doute tout n’est pas nouveau dans l’opéra d’hier, sans doute il y a là bien des airs de famille avec certains aimables chefs-d’œuvre de même origine, et pour peu que vous vouliez y regarder de près, vous découvrirez plus d’une réminiscence du Lac des Fées, plus d’un écho de Fra Diavolo ou de la Part du Diable ; mais ces réminiscences sont déguisées avec tant d’art, ces échos se reproduisent avec tant de grace et de séduction, qu’on s’y laisse prendre dès l’abord. Et sur des sensations d’opéra comique, je le demande, qui pensa jamais à revenir ?