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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

d’une aristocratie qui ne repoussait personne, amenait toute illustration à s’absorber dans la sienne, et qui, certes, lui aurait ouvert ses rangs, s’il fût né Anglais. L’équilibre et le jeu des pouvoirs attirèrent peu son attention ; il se sentit faiblement touché d’un établissement qui met quelque chose à côté d’un roi et au-dessus d’un ministre. Ce qu’il envia à l’Angleterre, ce ne fut pas la liberté, mais l’espérance, cette fière et féconde espérance que, seul alors dans l’univers, un Anglais pouvait embrasser[1]. Ce qui l’étonna surtout, ce fut la prospérité matérielle de la Grande-Bretagne. À l’aspect de tant de merveilles, il pensa au Portugal, et dans son intelligence, sinon tout-à-fait désintéressée, du moins éclairée, des idées généreuses, des vues nobles et hautes, se mêlèrent à des projets d’un ordre plus personnel. On ne peut en douter ; comme Pombal fit, dès son avénement au ministère, l’application de ces principes, c’est à son séjour de Londres qu’il faut en fixer l’origine. C’est là qu’il résolut d’être l’égal ou l’oppresseur des grands, le maître de son roi et le réformateur de sa patrie.

Joseph Ier, successeur de Jean V, était le Louis XIII du Portugal. Comme le roi de France, il avait son Richelieu : ce parallèle flattait la vanité de Pombal ; il s’en faisait l’application dans ses épanchemens intimes, et en public il se comparait à Sully. Joseph Ier était dépourvu même de cet extérieur imposant et de ces graces souveraines qui ennoblissent le désordre sans le justifier. Oisif, ennuyé, mélancolique, il abandonnait les affaires à son ministre, satisfait de conduire, par les beaux jours d’été, sur le Tage, une barque royalement pavoisée, remplie de femmes et de musiciens. Défiant d’ailleurs et soupçonneux, il ouvrait l’oreille aux délateurs et vivait dans la perpétuelle pensée d’une conjuration. Un tel prince était facile à conduire par la terreur. Pombal se servit avec habileté d’un moyen dont le caractère même du monarque lui conseillait l’emploi. Assidu auprès de Joseph, il ne l’entourait point d’une adulation obséquieuse, mais il le faisait trembler pour ses jours. Toutefois, la faveur ne l’aveugla jamais au point de lui faire oublier le soin de sa sûreté ; jamais il ne fit la moindre démarche sans un ordre signé du roi : précaution salutaire, qui, plus tard, lui sauva la vie.

La tendance des gouvernemens au XVIIIe siècle peut se traduire dans cette formule : la réforme par l’arbitraire. Tous les princes, tous

  1. Carvalho fut ensuite ministre à Vienne, où il épousa en secondes noces une nièce du feld-maréchal Daun.