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que les représailles exercées par les autres peuples ne pèseront pas sur les produits du sol.

Le danger vient donc, pour la manufacture de coton en Angleterre, tantôt du dedans et tantôt du dehors ; quelquefois la crise intérieure concourt avec la crise extérieure à ébranler l’édifice, qui chancelle sous l’effort de cette double secousse et semble près de s’abîmer. Il se passe alors dans les districts manufacturiers un phénomène semblable à ces convulsions de la nature dans les Antilles, où l’ouragan enveloppe le ciel et la terre, et où le sol tremble pendant que le vent jonche sa surface de débris. Les signes précurseurs de l’ouragan commercial se manifestent d’abord dans les relations du crédit. Les banques resserrent leur circulation et diminuent leurs escomptes. Les manufacturiers réduisent les heures de travail ou ferment leurs ateliers. Les boutiquiers, perdant leurs consommateurs ou obligés de vendre à crédit, font faillite. Les ouvriers, n’ayant plus de travail, dévorent leurs faibles épargnes, empruntent sur gages, et finissent par tomber à la charge de la bienfaisance publique. La taxe des pauvres est doublée et triplée au moment où la richesse se raréfie. Les travailleurs qui avaient émigré des districts ruraux sont impitoyablement renvoyés à la charge de leurs paroisses. Pour suppléer à l’insuffisance des secours officiels, l’on ouvre de toutes parts des souscriptions, et des missionnaires de charité pénètrent dans les réduits les plus misérables afin d’y porter avec l’aumône quelques paroles de consolation. Les manufacturiers s’assemblent dans les villes, et recherchent les causes du mal. Les ouvriers, affamés et désespérés, s’agitent jusqu’à l’émeute. Les pétitions pleuvent dans la chambre des communes, et les motions se succèdent ; le parlement ordonne des enquêtes, la reine demande des prières au clergé. L’Angleterre est un malade qui s’agite vainement sur son lit de douleur.

Depuis un quart de siècle, l’industrie cotonnière a passé par trois grandes crises, celle de 1819, celle de 1829, et celle de 1841. La dernière durait encore au commencement de 1844, et les germes en étaient déjà manifestes au sein de la prospérité vraiment fabuleuse de 1836. En 1835 et en 1836, des récoltes abondantes avaient fait tomber le prix du blé à une moyenne de 44 sh.d. (environ 56 francs) par quarter. L’élévation des salaires se combinant avec le bas prix des subsistances, l’ouvrier des manufactures vivait dans une aisance supérieure à celle des travailleurs agricoles ; ceux-ci commencèrent à émigrer des comtés du sud vers les districts du nord, et, à peine ar-