Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
MANCHESTER.

qu’il fait une bonne œuvre sur laquelle il ne perd pas, et les bonnes œuvres qui s’alimentent elles-mêmes sont les seules qui durent.

« L’abbé Pousset ne m’a point communiqué sa comptabilité, quoique je lui aie fait quelques questions qui le mettaient sur la voie de me l’offrir. Il paraît que chaque fille a un compte ouvert, sur lequel on porte ce qu’elle gagne par son travail, et ce qu’elle coûte, soit pour sa part dans les dépenses communes, soit pour ses besoins particuliers ; à la fin de l’année, on lui remet l’excédant. Cet excédant, m’a-t-on dit, s’est élevé pour quelques-unes à 125 francs par an ; il est rarement inférieur à 50 francs. Aucune ouvrière libre n’obtient, dans le même métier, un semblable résultat, et ce résultat tient bien moins aux avantages de la vie commune qu’à l’éloignement de toutes les distractions coûteuses ou corruptrices.

« La première pensée des fondateurs avait été, en recueillant de pauvres filles, de leur apprendre un métier et de les rendre ensuite à la société avec un moyen honnête de gagner leur pain. Ils supposaient qu’une rotation assez rapide s’établirait ainsi dans le personnel de la maison ; cette prévision ne s’est point réalisée. En contractant des habitudes d’ordre, de propreté et de bien-être, en apprenant à se respecter elles-mêmes, les réfugiées prennent en répugnance la vie grossière de leurs proches et ne veulent plus retourner auprès d’eux. Leur ambition est de devenir sœurs, c’est-à-dire de faire des vœux triennaux qui les attachent définitivement aux saintes familles. Quoique le seul lien qui les retienne consiste en ce que celle qui quitterait la maison ne pourrait plus y rentrer, quoique, sous cette condition, la porte principale en soit toujours ouverte, depuis six ans pas une seule de ces filles n’est sortie de l’établissement, pas une seule ne s’est mariée. Cela tient peut-être à la position du lieu, à son isolement, et dans une ville les choses se seraient autrement passées ; mais cette circonstance, jointe à l’air de calme et de contentement qui se lit sur tous ces visages, prouve au moins que, sous le rapport du bonheur individuel, les familles de l’abbé Pousset atteignent leur but. »

Les saintes familles des frères Pousset ne sont pas un fait isolé dans les départemens du Rhône et de la Loire. Dans ces contrées éminemment catholiques, les communautés de femmes se multiplient depuis quelques années, et la vie que l’on y mène est religieuse et laborieuse à la fois. L’industrie de la soie, jointe aux ouvrages de broderie, alimente sans peine le travail de ces établissemens, qui font partout avec avantage concurrence au travail libre. S’ils venaient à se développer sur une plus grande échelle, ils affecteraient certainement d’une manière grave le prix de la main-d’œuvre, car leur organisation leur permet de réduire le salaire bien au-dessous de la limite à laquelle peut descendre l’ouvrier libre, qui a toujours, outre la charge de sa propre subsistance, quelque autre fardeau à supporter. Le couvent