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on considère ce qu’une telle position avait d’excessif, et par conséquent de peu durable ; si on se rappelle surtout les circonstances qui, soit fortuitement, soit par un lien logique, quoique secret, se rattachent à l’introduction des jésuites à la cour de Lisbonne. Sans doute ils avaient rendu à cette partie de la Péninsule quelques services partiels, ils lui avaient conquis des sujets nouveaux et utiles ; à la Chine et dans les Indes, ils avaient jeté sur le nom portugais l’éclat d’une prédication consacrée par le martyre. L’établissement de la société n’en coïncide pas moins avec le déclin de la monarchie portugaise. Pour le malheur du Portugal, les jésuites et l’influence étrangère y entrèrent en même temps. Cette décadence ne fut point lente et progressive, mais rapide et instantanée. Contre le témoignage de presque tous les historiens, nous n’avons garde de l’attribuer aux jésuites ; nous constatons seulement qu’il fut triste pour eux d’en avoir été les témoins actifs. À tort ou à raison, la responsabilité des événemens retourne à ceux qui exercent le pouvoir, et, on ne peut le nier, le pouvoir leur a appartenu en Portugal, sans interruption ni lacune, dans toute cette période de deux cents ans (1540 à 1750).

Du XIVe siècle au XVIe le Portugal présente le phénomène d’une population faible, mais vivace, qui, par l’inspiration du courage, le génie de l’aventure, par un mélange de l’entraînement chevaleresque et du calcul commercial, par une sorte de compromis entre le passé et l’avenir, entre le moyen-âge et les temps modernes, s’élève subitement à la richesse, à la renommée, à la puissance, puis, arrivée à ce faîte, en redescend tout à coup, repoussée par le ressort qui l’avait fait monter si vite et si haut. C’est alors que les jésuites paraissent à Lisbonne. En 1540, ils sont présentés à Jean III. Dès ce moment, tout s’arrête. À peine reçus, ils dominent. L’inquisition elle-même les voit venir avec jalousie ; elle leur oppose quelque résistance, mais en vain : l’inquisition leur cède et les adopte. Ils demandent le libre exercice de l’enseignement ; l’université de Coïmbre succombe. D’abord ils partagent avec elle ses bâtimens ; au bout de sept ans, ils l’en chassent. La superstitieuse jeunesse de dom Sébastien, le règne du cardinal-roi, signalent à la fois l’agonie de la monarchie portugaise et le triomphe des jésuites. Ils reçoivent les Espagnols à bras ouverts ; plus tard, leur expulsion les afflige, mais ils ne tardent pas à s’imposer à la nouvelle dynastie. Ils gouvernent sous le nom des deux reines, la veuve de Jean IV et la femme d’Alphonse VI, remariée à son beau-frère du vivant de son premier mari, qu’elle détrône et qu’elle enchaîne sur