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MANCHESTER.

peuple, elles doivent compte à la Providence ainsi qu’au monde du bien qu’elles n’ont pas fait, comme du mal qu’elles n’ont pas empêché.

Les souffrances de l’industrie importunent encore l’amour-propre de la nation. Il est triste, quand on aspire à une renommée de richesse, de force et de moralité, de se voir montré au doigt en Europe, et de devenir pour les uns un sujet de reproche, pour les autres un objet de pitié. L’Angleterre affecte volontiers la supériorité sur les autres peuples. Elle se pose en modèle lorsqu’elle ne peut pas se draper en maître, et le monde l’a jugée long-temps sur parole, ébloui qu’il était par le prestige de ses derniers succès ; mais les doléances dont le parlement lui-même retentit ont rompu le charme : il n’y a pas d’enfant en Europe qui ne sache aujourd’hui qu’à côté de ces monstrueuses grandeurs il y a d’égales misères, et la science ne consiste plus qu’à compter, qu’à sonder les ulcères qui rongent maintenant le colosse affaibli.

Enfin, l’Angleterre comprend que son avenir même est menacé. Un peuple aussi profondément attaché au culte de la matière doit mettre la force physique au premier rang des élémens sur lesquels repose la puissance d’un état, et il doit s’alarmer plus qu’un autre dès qu’il voit décliner, sous l’influence des privations combinées avec l’intempérance et avec l’excès du travail, la constitution des ouvriers. Consultez les généraux anglais, et vous les entendrez attribuer leurs succès bien moins à une supériorité de tactique qu’à la vigueur physique de leurs soldats, qui leur permet dans les combats de tenir pied plus long-temps. Lisez les documens parlementaires, vous y verrez avec quel soin on s’étudie à démontrer que les ouvriers anglais l’emportent par la force du corps sur les ouvriers de toutes les contrées, et que cet avantage constitue la véritable prééminence de la nation. Le peuple anglais a la prétention d’être un peuple athlétique. Avec la même attention que les Romains apportaient à dresser pour les jeux du cirque les diverses espèces des gladiateurs, il s’est organisé pour une sorte de lutte universelle avec le monde civilisé, qu’il défie tout ensemble dans les acquisitions de territoire et dans les conquêtes aussi peu pacifiques de l’industrie. Comment ne tremblerait-il pas à la seule idée d’une diminution probable dans l’efficacité des instrumens avec lesquels il combat et il produit ?

Lorsque les premières atteintes du mal industriel se firent sentir en Angleterre, on essaya d’abord d’en détourner les yeux, l’on en contesta la réalité. M. Baines, dans ses recherches d’ailleurs pleines d’intérêt, entreprit d’établir que le travail des manufactures n’était pas plus nuisible à la santé des ouvriers que tout autre genre d’occupations. Le