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POÈTES ET ROMANCIERS CONTEMPORAINS.

et se discute aujourd’hui dans les clubs chartistes, dans l’exaltation communiste ; cette hérésie est toujours la même, malgré la diversité des formes et des noms. Voilà ce qu’on fait écrire aujourd’hui à Mme Sand, voilà comment on lui apprend l’histoire. On lui dit que les hérésies du passé ne sont autre chose que le communisme d’aujourd’hui ; elle le croit, et s’évertue à le faire croire à d’autres.

Cependant ni Arius, ni Sabellius, ni Eutichès, n’étaient communistes, et probablement saint Paul ne songeait pas aux chartistes quand il prononçait cette parole célèbre : Il faut qu’il y ait des hérésies. Les maîtres de Mme Sand ne lui ont pas expliqué qu’il était inévitable qu’à chaque dogme fondamental du christianisme correspondit une hérésie, que les idées métaphysiques avaient pour les Grecs et pour les Orientaux un attrait irrésistible, et qu’elles faisaient le fond de toutes les doctrines professées par les grands hérésiarques des premiers siècles de l’égise. On a pensé sans doute qu’il était inutile de faire connaître à Mme Sand toutes ces choses, qu’il était préférable de la laisser sur tous ces points dans une sainte ignorance, et qu’elle n’en aurait que plus d’ardeur pour prêcher l’hérésie, qui se trouverait ainsi avoir à ses yeux la même unité que le catholicisme.

Il a fallu toutes les préoccupations dont est aujourd’hui assiégée Mme Sand pour qu’elle ait pu croire trouver dans la franc-maçonnerie un monde poétique nouveau, et des effets par lesquels il lui serait facile de saisir et de charmer l’esprit. Rien de plus connu, rien de plus usé que la franc-maçonnerie, qui compte partout aujourd’hui tant d’innocens adeptes, et dont les mystères ont été si souvent révélés depuis cinquante ans[1]. Encore si Mme Sand eût choisi quelque époque bien reculée où les associations secrètes pouvaient, jusqu’à un certain point, répondre au génie et aux besoins du temps ! Pourquoi ne nous a-t-elle pas montré au XIVe ou au XVe siècle quelque société mystérieuse nourrissant dans son sein de grands projets et des passions ardentes ? Avant l’imprimerie, il était permis de croire à la puissance du mystère. Mais quel intérêt prendre à des invisibles qui sont contemporains de Diderot et de Jean-Jacques ? Nous n’ignorons pas qu’au XVIIIe siècle il y eut en Allemagne comme une recrudescence de maçonnerie, il y eut des maçons à Manheim, à Berlin, à Dresde ; il y eut des templiers à Jéna, il y en eut à Vienne ; la Bavière et les

  1. Parmi les livres écrits sur ce sujet, nous citerons le Voile levé pour les curieux, ou l’histoire de la Franche-Maçonnerie (Liège, 1826), et la Maçonnerie considérée comme le résultat des religions égyptienne, juive et chrétienne, par Reghellini de Schio ; Paris, 1833, 3 vol. in-8o.