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spirateurs, des révoltés : là est le règne de Dieu. La vérité est donc dans l’hérésie, et la véritable gloire, la véritable grandeur, dans les membres des sociétés secrètes, depuis les johannites jusqu’aux carbonari.

Qui doute qu’il n’y ait eu dans l’histoire des héroïnes nécessaires et des révoltes légitimes ? Qui voudrait méconnaître le génie de plusieurs dissidens illustres qui ont laissé dans les années du christianisme une trace immortelle, et l’héroïsme de ceux qui ont engagé contre l’injustice et la tyrannie des luttes désespérées. Apparemment personne ne niera non plus que l’église et la royauté aient eu d’indignes représentans. Le bien et le mal sont indistinctement répandus parmi les hommes et les choses humaines. Il n’y a pas pour le bien de classes privilégiées, ni de castes éternellement vouées au mal. Les théoriciens qui prétendent, au nom de la philosophie, caserner les vices et les crimes dans les palais des grands, des riches de la terre, et qui dotent la pauvreté de toutes les vertus, font à la vérité un outrage dangereux, qu’il soit ou non volontaire. Jamais un vrai philosophe ne descendra à une aussi triste partialité qui, pour premier châtiment, rapetisse l’esprit et le cœur de ceux qui s’y abandonnent.

Que deviendra aussi le poète avec une aussi pauvre façon d’apprécier les choses humaines ? Entre le monde et lui sont répandues des ténèbres qui lui en dérobent la vue. Il n’apercevra pas la variété des caractères, les contrastes entre les qualités personnelles et les situations sociales, la diversité des mœurs, des physionomies, la nature humaine, en un mot, avec toutes ses contradictions et tous ses ressorts. Nous pouvons constater ici comment de fausses théories sont parvenues à appauvrir, à dévaster une telle imagination. Le naturel heureux, la facilité brillante, la nature vigoureuse et instruisable, suivant une expression de Montaigne, de l’auteur de Jacques et de Lélia, autorisaient l’espérance d’une maturité féconde en résultats meilleurs encore. Aujourd’hui le talent du romancier, l’inspiration du poète, sont altérés et flétris sous le souffle aride de doctrines mensongères. On exige que l’artiste n’ait plus d’autre pensée que la propagation de ces doctrines, et l’auteur de Consuelo, l’exemple de son héroïne, semble devenu l’humble servante de certains illuminés.

Jugemens sur l’histoire, idées philosophiques, Mme Sand accepte tout de la main de ses nouveaux maîtres avec une docilité sans exemple. Elle affirmera sans hésiter que, comme il n’y a qu’une religion, il n’y a qu’une hérésie. Cette hérésie est la religion secrète qui, commençant à la prédication de Jésus, aboutit à la révolution française, se reforme