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Rien de plus vif et de plus gracieux que la peinture des naïves amours du bel Anzoleto et de la sauvage élève du professeur Porpora. Malheureusement ces charmantes scènes durent peu : bientôt fond sur le lecteur une trombe d’incidens, d’aventures, de mystiques visions, de déclamations philosophiques. Tous les tons sont confondus, toutes les couleurs mêlées : ce sont à la fois les fantaisies d’un conte, les prétentions d’un poème, les développemens d’une dissertation.

L’auteur de Consuelo voulait-il se donner le plaisir d’écrire un roman plein d’événemens merveilleux, d’apparitions, de fantômes ? soit. C’était déroger. Mais après tout il n’est pas défendu à un artiste de chercher parfois dans des genres inférieurs des diversions à ses habituels travaux. Seulement dans ces excursions on doit au moins se tenir à la hauteur des vocations spéciales avec lesquelles on entre en rivalité. Une femme, Mme Radcliffe, s’est fait un nom célèbre par la composition de romans à aventures. Elle intrigue le lecteur par son récit, elle l’y attache en l’effrayant : elle a le don de répandre dans ses histoires une sorte de terreur. Sans être de premier ordre, le talent de Mme Radcliffe est remarquable : nous le comparerions volontiers, pour les effets qu’il produit, à celui de deux de nos auteurs dramatiques, Crébillon et Lemercier. Ces deux tragiques, bien au-dessous des grands maîtres, ont néanmoins la puissance d’émouvoir fortement le spectateur en l’épouvantant. Les romans de Mme Radcliffe laissent dans l’imagination du lecteur des impressions analogues. En nous conduisant au château des Géans, habité par les seigneurs de Rudolstadt, Mme Sand avait bien l’intention d’arriver aux mêmes effets que l’auteur des Mystères d’Udolphe. Elle égare Consuelo dans d’innombrables escaliers, dans d’interminables corridors, dans un labyrinthe infini de galeries et de passages ; elle nous montre des chapelles secrètes, des statues blanchâtres, des tombes mystérieuses ; elle voudrait bien nous faire peur, mais bientôt elle en désespère et se met à dire : « Si l’ingénieuse et féconde Anne Radcliffe se fût trouvée à la place du candide et maladroit narrateur de cette très-véridique histoire, elle n’eût pas laissé échapper une si bonne occasion de vous promener, madame la lectrice, à travers les corridors, les trappes, les escaliers en spirale, les ténèbres et les souterrains pendant une demi-douzaine de beaux et attachans volumes pour vous révéler, seulement au septième, tous les arcanes de son œuvre savante. » Évidemment Mme Sand s’était imaginé au début que rien ne lui serait plus facile que de faire mouvoir les ressorts de ce merveilleux dont Mme Radcliffe connaissait si bien les secrets : bientôt elle a reconnu que toutes ces combinaisons lui demanderaient trop de temps et de travail, aussi elle y renonce brusque-