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émoussée entre nos mains. Si nous étions les plus forts, il faudrait attendre ; nous sommes les plus faibles, c’est à nous d’oser. Or, il se trouve que le génie des découvertes vient de livrer à l’homme un instrument nouveau, d’une puissance incalculable, et dont les vertus militaires ne sont encore éprouvées par personne. L’un de ses effets les plus évidens est de substituer un moteur sûr à un moteur précaire, et de balancer, par une grande simplification, les bénéfices du nombre. Comme le dit la Note, « nos ressources militaires viendront désormais prendre la place de notre personnel naval appauvri. Nous aurons toujours assez d’officiers et de matelots pour remplir le rôle laissé au marin sur un bateau à vapeur ; la machine suppléera à des centaines de bras. » Rien de plus juste : dès aujourd’hui les hommes qu’absorbait la manœuvre compliquée de la voile deviennent disponibles et sont rendus au rôle de combattans ; le courage et les canons font le reste. Tel est le premier bienfait de la vapeur : en outre elle rend les abordages plus faciles et multiplie ces engagemens de détail, ces duels à l’arme blanche, dans lesquels les Français ont toujours eu une supériorité décidée. Ne fût-ce qu’à ces deux titres, elle est pour nous une précieuse conquête. Mais les avantages que nous offre son emploi ne se bornent pas là, et la Note en signale d’autres qui n’ont pas moins de prix. « Qui peut douter, dit ce document, qu’avec une marine à vapeur fortement organisée, nous n’ayons les moyens d’infliger aux côtes ennemies des pertes et des souffrances inconnues à une nation qui n’a jamais ressenti tout ce que la guerre entraîne de misères ? Et à la suite de ces souffrances lui viendrait le mal, également nouveau pour elle, de la confiance perdue. Les richesses accumulées sur ses côtes et dans ses ports auraient cessé d’être en sûreté. »

Tel est le point vulnérable, et on ne s’y est pas trompé de l’autre côté de la Manche. Les récriminations les plus vives y ont éclaté à ce sujet ; on a appelé ce système de surprises et de descentes une guerre de boucaniers. En France même, les hommes spéciaux ont trouvé que ces procédés expéditifs ressemblent à des expéditions de corsaires, et que la marine de l’état y prendrait les allures de la course. On ajoutait d’ailleurs, et la Note en convient, que tous ces avantages peuvent être retournés contre nous, et que, si la côte anglaise est désormais accessible à nos coups de main, nos propres côtes ne sont pas à l’abri des représailles. D’où il suit que des deux parts, on va faire porter le poids des hostilités à des populations inoffensives, au lieu de vider ces questions, comme autrefois, entre gens de guerre.

Ces reproches, ces objections tiennent peut-être à ce que l’auteur de là Note n’a pas complété sa pensée, d’ailleurs bien transparente. Ses paroles avaient trop de gravité pour qu’il ne les mesurât pas avec soin ; il n’a pas voulu qu’elles prissent le ton d’un défi et qu’elles pussent porter ombrage. Aussi limite-t-il l’action de la vapeur au littoral, et ne menace-t-il pas nos rivaux jusque dans le siège de leur puissance. Plus libres et astreints à moins de ménagemens, nous allons essayer de conduire son idée jusqu’au bout et d’exprimer ce qu’elle sous-entend.

Le parti que la France doit surtout tirer de l’emploi de la vapeur, c’est de