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à apprendre dans une contrée si différente de celle où il avait passé la moitié de sa vie, et il eut cette qualité si désirable pour un roi, de bien voir et de bien apprendre.

En peu de temps, la Suède, abattue et découragée, se releva sous son nouveau sceptre comme un fier coursier dont un éperon exercé aiguillonne les flancs, et dont une main habile agite les rênes. L’ordre fut rétabli dans l’armée, la confiance rentra dans l’administration, et la Suède reprit une nouvelle attitude. Le blocus continental auquel ce pays s’associa à regret, par déférence seulement pour la volonté de Napoléon, par le désir de conserver la paix avec la France, la guerre qui éclata ensuite, paralysèrent pendant plusieurs années le commerce du pays et compliquèrent gravement les embarras financiers. Les revenus de l’état étaient au-dessous des dépenses ; les produits de la douane, qui, en 1810, avant la déclaration de guerre à l’Angleterre, s’élevaient à 3,000,000, ne furent, en 1811, que de 1,800,000 fr. Le papier monnaie tombait de jour en jour dans un plus grand discrédit ; on ne l’escomptait qu’avec une perte effrayante. Les obligations du royaume valaient encore, à la fin de 1810, 40 à 50 pour 100 ; en 1812 et 1813, on n’en offrait que 16 ou 20. Ce malaise financier était la plaie la plus affligeante du royaume ; ce fut celle que, dans la diète de 1815, les députés de l’opposition s’attachèrent surtout à faire ressortir en la peignant sous les couleurs les plus sombres et les plus sinistres, et en reprochant au gouvernement de n’avoir pas su y apporter remède. Mais Charles-Jean connaissait à fond les ressources du pays, et il comptait sur les années de paix dont il allait sagement employer les bénéfices ; il avait d’ailleurs une fortune considérable, et il voulait consacrer cette fortune au service du pays qu’il était appelé à gouverner. En 1814, l’Angleterre lui alloua, à lui personnellement, à titre d’indemnité pour les dotations qu’il avait perdues en France, un million de livres sterling. Charles-Jean établit avec cette somme un fonds d’amortissement pour l’extinction de la dette étrangère. Les états-généraux, en le remerciant d’une telle générosité, lui constituèrent une rente annuelle de 400,000 fr., réversible sur ses descendans. Grâce à l’abandon de ces 24 millions et à d’autres sacrifices pécuniaires que le roi s’imposa sans hésiter chaque fois qu’il en fut besoin, grâce aux sages mesures qu’il mit en œuvre, la Suède, tout en conservant ses contributions à un taux modéré[1], s’est, en moins de trente ans, délivrée du lourd fardeau qui pesait sur elle : ses dettes ont été amorties, son

  1. Ces contributions, y compris les charges communales, ne vont pas au-delà de 9 francs par tête : c’est huit fois moins qu’en Angleterre, et près de quatre fois moins qu’en France.