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nous traitait avec la même rigueur qu’une nation ennemie ; et la note officielle remise par M. le baron Alquier n’a laissé à la Suède que l’affligeante alternative, ou de voir rompre les liens qui l’unissent à la France, ou de se livrer à la merci d’un ennemi formidable, en lui déclarant la guerre, sans posséder aucun moyen pour le combattre.

« En me décidant à accepter la succession au trône de Suède, j’avais toujours espéré, sire, concilier les intérêts du pays que j’ai servi fidèlement et défendu pendant trente années, avec ceux de la patrie qui venait de m’adopter. A peine arrivé, j’ai vu cet espoir compromis, et le roi a pu remarquer combien mon cœur était douloureusement combattu entre son attachement à votre majesté et le sentiment de ses nouveaux devoirs.

« Dans une situation si pénible, je n’ai pu que m’abandonner à la décision du roi, et m’abstenir de prendre part aux délibérations du conseil d’état.

« Le conseil d’état ne s’est pas dissimulé :

« 1° Qu’un état de guerre ouverte, provoqué par nous, causera infailliblement la capture de tous les bâtimens qui sont allés porter des fers en Amérique ;

« 2° Qu’à la suite d’une guerre malheureuse, nos magasins sont vides, nos arsenaux sans activité et dépourvus de tout, et que les fonds manquent pour parer à tous les besoins ;

« 3° Qu’il faut des sommes considérables pour mettre à couvert la flotte de Carlscrona et réparer les fortifications de cette place, sans qu’il y ait aucuns fonds pour cet objet ;

« 4° Que la réunion de l’armée exige une dépense extraordinaire d’au moins 7 à 8 millions, et que la constitution ne permet pas au roi d’établir aucune taxe sans le consentement des états-généraux ;

« 5° Enfin, que le sel est un objet de première et absolue nécessité en Suède, et que c’est l’Angleterre seule qui l’a fourni jusqu’ici.

« Mais toutes ces considérations, sire, ont disparu devant le désir de satisfaire votre majesté. Le roi et son conseil ont fermé l’oreille au cri de la misère publique, et l’état de guerre avec l’Angleterre a été résolu, uniquement par déférence pour votre majesté, et pour convaincre nos calomniateurs que la Suède, rendue à un gouvernement sage et modéré, n’aspire qu’après la paix maritime. Heureuse, sire, cette Suède si mal connue jusqu’à présent, si elle peut obtenir, en retour de son dévouement, quelques témoignages de bienveillance de la part de votre majesté[1]. »

  1. Recueil des Lettres de Charles-Jean, t. I, p. 24.