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l’importance des sacrifices qu’on imposait à son commerce, à son industrie, et sans se sentir humiliée de les faire. Avant de quitter la France, Charles-Jean avait eu avec l’empereur un long entretien sur la Suède. Napoléon voulait que ce royaume se soumît à toutes les conditions du système continental, système plus pénible, plus dangereux pour ce pays que pour tout autre. Bernadotte demanda quelques mois pour étudier l’état de la Suède, les dispositions, les ressources du peuple qu’il était appelé à gouverner. Cet ajournement lui fut accordé, et les Suédois, attribuant à son influence personnelle une concession à laquelle ils attachaient un grand prix, en éprouvèrent pour lui un nouveau sentiment de respect et de considération. Mais, dès le mois de novembre 1810, Napoléon adressa rudement à la cour de Suède son ultimatum : « Choisissez, dit-il ; des coups de canon aux Anglais qui s’approchent de vos côtes et la confiscation de leurs marchandises, ou la guerre avec la France. » Et l’on donnait cinq jours pour répondre. Cette demande impérieuse, qui ne permettait plus aucune observation, répandit la terreur dans la capitale. Le conseil du roi fut appelé aussitôt à délibérer sur la douloureuse alternative où la Suède se trouvait tout à coup placée. Fermer aux Anglais les ports de la Suède, c’était ravir à ce pays ses plus sûres, ses dernières ressources. Entrer en guerre avec la France ! la nation entière ne pouvait encore s’y résoudre. Charles-Jean assistait au conseil qui allait discuter une si grave question. Dans la pénible anxiété qu’il éprouvait, dans l’obligation qui lui était imposée si inopinément par le sort de sacrifier les intérêts réels, nécessaires de la Suède, ou de prononcer un vote contre la France, il se retrancha dans la neutralité. « Agissez, dit-il aux conseillers du roi, comme si je n’étais pas là. Je suis prêt à mettre à exécution les mesures que vous jugerez devoir prendre dans une telle crise. » Le résultat de la délibération fut tel que l’empereur pouvait le désirer. Charles-Jean lui écrivit alors la lettre suivante :


« SIRE,

« Par ma lettre du 11 novembre, j’ai eu l’honneur d’instruire votre majesté que le roi était prêt à faire tout ce que les lois constitutionnelles lui permettaient pour arrêter l’introduction des marchandises anglaises. Le ministère s’occupait d’un règlement très sévère à ce sujet, lorsqu’une dépêche de M. Legerbielke est venue porter la douleur dans l’âme du roi, et déranger sa santé d’une manière bien sensible. Cette dépêche nous prouvait à quel point votre majesté était prévenue contre nous, puisqu’en nous donnant cinq jours pour répondre, elle