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passa sa vie à boire et à chanter. Des artistes ambulans jouaient sur des tréteaux leurs farces grivoises, tandis que des barques légères, conduites par des batelières de la Dalécarlie, amenaient sans cesse du quai de la ville au bord du Diurgarden de nouveaux flots de promeneurs. Si j’avais pu moi-même choisir un jour pour me donner dès mon arrivée à Stockholm une soudaine et saisissante idée de la physionomie, du caractère des habitans de cette ville, je n’aurais pu mieux réussir. C’était l’une des plus anciennes, l’une des plus belles solennités du Nord. A pareille époque, il y a mille ans, les descendans d’Odin célébraient par des chants et des libations la solstice d’été, et ce jour-là les sujets de Charles-Jean célébraient à la fois la fête d’un saint et la fête de leur roi. L’observation naïve des révolutions des astres, le culte de la nature, avaient consacré le 25 juin dans l’esprit des sectateurs d’Odin, et à voir, à tant de siècles de distance, leurs descendans regarder avec tant de bonheur l’azur du ciel, la verdure naissante des collines et le feuillage des arbres, on eût dit qu’ils éprouvaient encore les joies païennes de leurs ancêtres. Le printemps arrive tard en Suède, les nuits d’hiver enveloppent pendant de longs mois l’horizon tout entier ; mais au 25 juin, une lumière continuelle récrée les regards fatigués par une incessante obscurité. C’est ce jour-là que les curieux s’en vont voir le soleil de minuit sur la montagne d’Arasaxa, et si à cet aspect d’un admirable phénomène, à ce tableau d’une nature tout à coup épanouie et éblouissante de fraîcheur et de beauté, un souverain ajoute l’éclat de sa pompe royale, je laisse à penser quel mouvement ces deux spectacles doivent donner à la population d’une grande ville.

Voitures et piétons, tout le monde se dirigeait vers le château de Rosendal, où le roi à cheval, accompagné de son fils et de ses principaux officiers, faisait en ce moment défiler devant lui ses régimens d’Indelta et ses splendides escadrons des gardes. Quand la revue fut terminée aux cris mille fois répétés de vive le roi ! vive le prince Oscar ! Charles-Jean s’en vint au petit trot au milieu de la double haie d’équipages rangés le long de la grande allée. Vêtu d’un simple frac bleu, l’ordre de l’Épée sur la poitrine, le cordon de la Légion-d’Honneur en sautoir, il ne se distinguait de son cortège chamarré d’or et de broderies que par la nudité de son uniforme ; mais de loin, en le voyant venir, toutes les femmes se levaient dans leurs calèches, tous les hommes se découvraient la tête, et les gens du peuple, lançant leurs chapeaux en l’air, le saluaient par de tumultueux hurrahs. Il s’arrêta près de la voiture où j’étais assis à côté de notre chargé d’affaires, et,