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d’une nécessité absolue ; de l’autre, les parens préfèrent pour leurs enfans, au travail limité de la manufacture, le travail non limité, et par conséquent plus lucratif, des mines ou des petites fabriques, lorsque ce travail leur est offert. Aujourd’hui, sur environ 500,000 ouvriers employés dans les manufactures, on ne compte guère que 25,000 enfans ; ceux-ci ne représentent plus qu’un vingtième du nombre total dans des établissemens où ils furent d’abord les seuls ouvriers.

Que devenaient cependant les enfans qui avaient déserté les manufactures ? Voilà ce que l’Angleterre a voulu savoir. Le 4 août 1840, sur la proposition du lord Ashley, la chambre des communes demanda, par une adresse à la reine, que le gouvernement fît une enquête sur l’état des enfans et des adolescens employés dans les mines ou dans les ateliers que n’atteignaient pas les dispositions de l’acte rendu en 1833. L’enquête, dirigée par les hommes les plus honorables et les plus expérimentes, se prolongea pendant près de deux années. Les rapports de cette commission prouvèrent que la sollicitude du législateur ne s’était pas portée jusque-là sur les individus qui avaient le plus grand besoin de sa protection, et que les travaux dans les manufactures pouvaient passer pour légers et salubres, si l’on venait à les comparer à ces travaux auxiliaires que la manufacture suscite, et qui ont pour objet soit de lui fournir la puissance motrice, soit d’achever ses produits. Une horrible lumière éclaira des faits qui semblent appartenir à un autre siècle, et dont on n’aurait jamais soupçonné l’existence au sein d’un pays civilisé.

Dans les mines de houille, les enfans commencent souvent à travailler dès l’âge de quatre à cinq ans. On les emploie en qualité de trappeurs. Accroupis derrière une porte ou trappe, leur fonction consiste à l’ouvrir pour laisser passer les wagons chargés de houille et à la fermer aussitôt après. Si le trappeur négligeait de la refermer, les gaz qui se dégagent du charbon, venant à s’échauffer, pourraient faire explosion. C’est donc ce petit être, dans l’âge de l’imprévoyance et à demi hébété par la solitude, qui répond de la sûreté de la mine, et qui a, pour ainsi dire, droit de vie et de mort sur tous les ouvriers. Rien de plus triste que son existence. Il descend dans le puits à trois ou quatre heures du matin pour n’en sortir qu’à cinq ou six heures du soir. Le dimanche seulement, il lui est donné de contempler la clarté du jour. Tout le long de la semaine, il reste dans l’obscurité et dans l’humidité, n’ayant d’autre distraction que celle d’apercevoir de temps en temps la lampe qui éclaire le passage des convois. C’est l’emprisonnement solitaire, l’emprisonnement ténébreux appliqué aux plus petits enfans.