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font sortir les jeunes ouvriers. Puisque l’on entrait dans les voies réglementaires, pourquoi ne pas étendre la protection de la loi au-delà de l’âge de seize ans ? Cet âge est celui du discernement, mais non de la force : à seize ans, on distingue le bien du mal, on a le sentiment de sa propre responsabilité ; mais le corps n’est pas assez développé pour endurer sans péril les fatigues de l’homme fait.

La loi qui règle le travail des enfans est encore à exécuter en France. Cela tient non-seulement aux difficultés qu’elle soulève, mais aussi, mais surtout à ce que l’on n’a pas pris les moyens d’en assurer l’exécution. La loi s’est bornée à poser le principe ; elle a laissé à l’administration le soin de l’appliquer, avec des pouvoirs qui vont jusqu’à l’arbitraire le plus étendu. Or, sous un gouvernement représentatif, l’arbitraire est une arme émoussée ; comme il ne donne de garanties à personne, il rencontre des obstacles à chaque pas. Dans le cas présent, il met le pouvoir exécutif à la merci de l’opinion publique ou des intérêts manufacturiers ; il l’énervé ou le rend oppresseur selon les circonstances, en sorte que ce qui pourrait arriver de moins dangereux, ce serait que l’administration, en butte aux courans de deux forces contraires, se tînt dans un équilibre fainéant.

Une loi sur le travail des enfans n’était nulle part plus facile qu’en France. En premier lieu, les manufacturiers, étant mis à l’abri de la concurrence étrangère par notre système prohibitif, n’avaient pas le droit de faire valoir, comme ceux de la Grande-Bretagne, la nécessité d’excéder les forces humaines dans cette lutte à perte d’haleine des industries. Ajoutez que la régularité de notre administration, et cette puissance qui se fait sentir en un moment du centre de la France à ses extrémités, permettaient d’établir partout un contrôle sérieux. Voilà précisément l’avantage dont on a tenu le moins de compte. Pendant que le gouvernement anglais, dans une contrée qui a horreur de la centralisation, nommait des inspecteurs-généraux salariés pour surveiller les manufactures, le gouvernement français, dans un pays préparé à la centralisation par trois siècles de révolutions successives, et dont la centralisation est l’âme, désignait nonchalamment pour cette surveillance des inspecteurs locaux et gratuits. Ne devait-on pas prévoir que la loi périrait entre leurs mains ?

Ainsi la protection donnée à l’enfance contre les excès du travail, incomplète en Angleterre, a été insuffisante partout ; mais l’Angleterre a gardé cet avantage que, grâce à la publicité qu’ont reçue les résultats de l’acte de 1833, il devient possible d’examiner et de savoir sur quel point la réforme doit aujourd’hui porter.

En 1837, quatre ans après la promulgation de la loi, M. N. Senior,