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une enquête. Les ouvriers, ayant secondé le mouvement qui venait de porter aux affaires le parti réformiste, celui-ci, dans sa reconnaissance, ne pouvait pas faire moins pour eux.

En 1832, M. Sadler, représentant d’Aldborough, proposa de limiter le travail des manufactures à dix heures par jour. Le bill fut renvoyé à un comité qui ouvrit une enquête et siégea depuis le 10 avril jusqu’au 7 août. Il entendit un grand nombre d’ouvriers, un très petit nombre de manufacturiers, et quelques agitateurs philanthropes, entre autres le fameux Oastler, qui décrivait, dans les termes suivans, la grande réunion tenue par les ouvriers à York : « Le temps était affreux, la pluie tombait par torrens. Il y avait là des milliers et des dizaines de milliers de travailleurs. La plupart avaient parcouru, pour s’y rendre, plus de vingt-quatre milles ; car Leeds est la ville manufacturière la plus voisine d’York. Plusieurs, venant d’Holmsfirth, de Marden, de Meltham, avaient fait quarante à cinquante milles. On voyait dans la foule des femmes et jusqu’à des petits enfans, qui avaient quitté les fabriques pour rendre témoignage en faveur du bill de dix heures. Pendant plus de quatre heures, tout ce monde se tint debout dans la cour du château, écoutant les orateurs dans l’attitude la plus recueillie. A l’issue de la réunion, je revins à pied avec quelques ouvriers. Il y avait parmi eux des hommes qui n’avaient point mangé depuis le matin ; je les voyais se partager de petits morceaux de pain ; ils ne se plaignaient pas, mais ils me disaient : « Nous irons jusqu’à Londres, s’il le faut, pour mettre la main au bill de dix heures. » On voit quelles étaient dès-lors les dispositions des ouvriers. Déjà aussi les propriétaires fonciers prenaient ce mouvement sous leur patronage ; le haut shériff présidait la réunion d’York : la guerre commençait sur ce terrain entre les deux aristocraties.

Les membres du comité, dans lequel siégeaient, à côté de M. Sadler et de sir Harry Inglis, lord Morpeth, M. Poulet Thompson et sir R. Peel, ne parvinrent pas à s’entendre ; ils soumirent à la chambre les dépositions qu’ils avaient recueillies, mais sans y ajouter leurs conclusions. La publication de ce document fit une vive sensation en Angleterre et en Europe. L’existence des ouvriers dans les manufactures y était présentée sous un aspect tellement sombre, qu’un journal anglais se crut obligé de protester contre l’opinion qui assimilait l’état de la Grande-Bretagne tout entière à celui des districts manufacturiers. « Bien qu’un grand nombre d’enfans, dans nos villes de fabrique, disait cette feuille, soient assujétis à de pénibles travaux et à de grandes privations, la plaie ne s’est pas étendue au pays tout entier. Il y a