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sa clarté. Si j’échoue, celle qui m’inspire et m’impose à la fois me devra au moins son indulgence. On est modeste quand on aime, madame, et timide quand on désire. » A cet exorde, dont le style brusque et saccadé trahit évidemment l’émotion de l’orateur, succède une opulente énumération des diverses beautés d’Herminie : « Dire qu’elle est aussi belle que bonne ; que ses dents, d’un émail éclatant, sont parfaitement rangées ; que son sourire est gracieux, que ses longs cheveux blonds sont d’une nuance ravissante ; que l’expression de son regard, lorsqu’il vient à s’animer, porte le trouble au fond du cœur ; que sa taille est aussi noble que gracieuse, et qu’il y a dans sa tournure une souplesse qui enchante, ce serait raconter ce que chacun sait. » Or, dire ce que chacun sait n’est point précisément ce qui tente M. le duc de Doudeauville. Il préfère de beaucoup les confidences intimes du genre de celle-ci, par exemple : « Sa belle santé redoute des agitations qui ne seraient pas sans charme pour elle. » Libre à chacun d’interpréter à sa manière cette observation délicate du moraliste, qui s’écrie ailleurs, en s’adressant à M. de Courcelles et sur un ton encore moins énigmatique : «Votre carrure, cher comte, dénote certains mérites secrets que personne, je crois, ne sera tenté de vous contester, et ces indices indiscrets n’ont rien qui vous déplaise. » Je remarquerai aussi, en passant, un chapitre dédié à Mme la comtesse Léonie de C., où la question de ménage se trouve on ne peut mieux touchée. Impossible d’avoir plus de goût et de tirer de si bonne grâce le rideau sur ce petit coin de la vie privée qu’après tout chacun tient assez à garder pour soi. « Vous êtes douce, Léonie, lorsqu’on fait votre volonté et que ce pauvre Jules se soumet à tous vos caprices. Songez qu’il peut, à votre choix, faire envie ou pitié. » En vérité, monsieur le duc, mais vous n’y pensez pas ! et m’est avis que ce pauvre Jules vous eût bien volontiers tenu quitte du compliment, surtout si je lis ce qui suit : « Votre mari emploie tout son esprit, et il en a beaucoup, à se persuader qu’il est heureux. Avec vingt ans de moins, il le pourrait, car, lorsqu’on est jeune, il est des momens où l’imagination joue un rôle si délirant, qu’elle ne voit rien au-dessus du bonheur de posséder une femme spirituelle et jolie comme vous ; mais, dans l’âge mûr, on a besoin de trouver à côté de ces avantages les qualités qui assurent le repos de l’intérieur. Or, je vous le demande, Léonie, offrez-vous en ce genre à votre mari tout ce qu’il pourrait désirer pour compensation de son dévouement et de la belle position qu’il vous a faite en mettant à vos pieds sa fortune et son nom ? » Mais pour la franchise et l’entrain du style, rien ne vaut le portrait de Zoé, comtesse du C. ; « C’est la plus ravissante et la plus cruelle personne du monde ; un