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l’horizon de l’Attique, l’Etna ou les imposans sommets du Tmolus. Si l’intérêt languissait un peu, la patience était plus facile, tandis qu’on laissait errer sa vue sur une admirable décoration naturelle merveilleusement éclairée, qu’elle ne l’est aujourd’hui, quand on a au-dessus de sa tête le lustre en guise de soleil, et pour toute perspective les coulisses et le trou du souffleur.

Quelquefois la situation du théâtre se trouvait dans une heureuse harmonie avec le sujet du drame. Quand on jouait Œdipe sur le théâtre de Corinthe, le spectateur pouvait voir à la fois le Cithéron et le Parnasse, et embrasser ainsi d’un coup d’œil toute la destinée d’Œdipe depuis son exposition sur la montagne maudite jusqu’à son parricide involontaire sur la route de Delphes. Combien l’impression que produisirent les Perses d’Eschyle dut être augmentée par la position du théâtre d’Athènes ! La patriotique tragédie fut jouée en vue de Salamine. Du sommet des gradins du théâtre, on jouit mieux peut-être que partout ailleurs du spectacle de la mer. Là on imagine sans peine ce que devaient éprouver les compagnons de Thémistocle, assis sur ces gradins, quand le soleil s’inclinant sur ce magnifique horizon, et Salamine apparaissant enveloppée de la lumière d’or de l’Attique, on voyait fuir sur la mer peinte de rose et d’azur quelques-uns des vaisseaux qui avaient troué de leur éperon de fer les vaisseaux des Perses, cependant que le messager venait raconter à la mère de Xercès et aux vieillards éperdus comment toute la flotte avait péri devant l’île de Salamine, comment la rive de Salamine était remplie de morts, et qu’on entendait la malheureuse reine maudire ce nom funeste ; alors quels transports, quels applaudissemens devaient saluer à la fois le récit et le théâtre du glorieux combat !


J.-J. AMPERE.