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charme à ranimer ainsi la tragédie antique en la relisant aux lieux qui furent la scène des événemens qu’elle retrace ; souvent on reconnaît combien les poètes grecs ont marié habilement les catastrophes de leur drame avec les décorations naturelles que lui avait données la tradition. Certes la scène de la destinée d’Œdipe est appropriée à cette tragique destinée. Enfant, il est exposé sur le Cithéron, qui, à voir son air sauvage et morne, semble encore aujourd’hui frappé de malédiction. C’est bien le mont scélérat d’Euripide, le mont aux croupes arides qu’a deviné le chantre moderne di Antigone. On a remarqué que l’Hélicon et le Cithéron, très voisins l’un de l’autre, ont un aspect entièrement opposé ; le premier est frais et boisé, le second est âpre et nu. Ils diffèrent comme la Muse et la Furie.

La fameuse Schiste, le lieu où Œdipe frappa Laïus, est aisée à reconnaître à la bifurcation du chemin de Delphes, qui va d’un côté vers Thèbes, de l’autre vers Corinthe. Œdipe revenait de consulter l’oracle, que Laïus allait interroger, quand ils se rencontrèrent dans cette voie étroite, encaissée entre deux montagnes sauvages dont les flancs sont semés de pierres noirâtres, ravin perdu, gorge sinistre, où l’imagination des poètes grecs a bien placé l’accomplissement du parricide. Enfin, cette vie tragique d’Œdipe, commencée sur les tristes cimes du Cithéron, traverse les sombres gorges de la Phocide pour venir se purifier et se transfigurer sous le ciel serein d’Athènes.

Rien ne sied mieux aux sombres fureurs de la tragédie d’Eschyle, à tous les souvenirs sanglans des Pélopides, que les montagnes arides, grisâtres, farouches, qui dominent Mycènes, la ville d’Atrée. J’ai vu ailleurs des lieux auxquels est attachée encore aujourd’hui la mémoire des premières horreurs qui ouvrent cette série d’horreurs. Près de Smyrne, sur une cime peu élevée qui forme le premier contrefort du mont Sipyle, on montre à l’étranger le tombeau de Tantale et le trône de Pélops. Cette cime, visitée par les panthères, hérissée de roches noirâtres, rappelle sous le ciel de l’Ionie, et au sein d’une nature gracieuse, les sommets menaçans de l’Argolide ; la tradition a donné au prologue un théâtre digne de celui qu’elle a choisi pour le terrible drame de la mort d’Agamemnon et de la parricide vengeance qui punit cette mort. Enfin, le rocher de l’Aréopage, au pied duquel le patriotique orgueil du tragique de Marathon se plaisait à faire prononcer un jury athénien sur la cause d’Oreste, débattue par les dieux ; ce rocher, par sa majesté sévère, convient au dénouement grave et religieux de l’imposante trilogie. En contemplant, des sombres hauteurs auxquelles s’appuient les murs cyclopéens de Mycènes, ces deux lions.